DÉCLASSEMENT, sociologie
Le déclassement, concept très présent dans le débat public depuis la fin des années 1990, est une notion sociologique polysémique qui peut renvoyer à trois définitions distinctes, et donc à trois réalités sociales différentes mais non exclusives les unes des autres.
Dans une première acception, le déclassement revêt une dimension intergénérationnelle et est alors synonyme de mobilité sociale descendante. Il décrit en effet la situation d’individus qui connaissent une réussite professionnelle ou sociale moins favorable que celle de leurs parents. Il s’inscrit alors pleinement dans la sociologie de la mobilité sociale. Plusieurs recherches récentes, comme celles de Louis Chauvel ou de Camille Peugny ont montré que la fréquence du phénomène augmentait pour les générations nées à partir du début des années 1960, comparées à celles nées immédiatement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces dernières ayant profité de la période de forte croissance économique des Trente Glorieuses pour s’élever plus fréquemment au-dessus de la condition de leurs parents. Dans cette acception, le concept de déclassement participe d’une sociologie des inégalités entre les générations qui s’attache à mettre en évidence la dimension générationnelle du processus de stratification sociale : à la génération des premiers-nés du baby boom, favorisée par la forte croissance et le plein emploi, succèdent des cohortes au destin nettement affecté par l’entrée dans une période économique beaucoup plus chaotique à partir de la seconde moitié des années 1970. Les travaux décrivant la persistance d’un chômage de masse ou la montée des taux de pauvreté parmi les jeunes s’inscrivent ainsi pleinement dans une sociologie s’attachant à analyser la montée du déclassement parmi les jeunes générations.
Dans une deuxième acception, le déclassement peut aussi se mesurer au cours du cycle de vie. Il ne s’agit plus de comparer la situation d’un individu à celle des générations précédentes, mais de décrire des trajectoires de déclassement au cours d’un parcours de vie. Ces trajectoires peuvent être individuelles ou collectives, elles peuvent concerner des individus, des ménages, des groupes sociaux (par exemple des professions). Les critères retenus peuvent être la perte d’un emploi, un appauvrissement monétaire ou encore une perte de prestige social.
Enfin, dans une troisième acception, le déclassement est synonyme du concept anglo-saxon d’overeducation et renvoie à la situation d’individus qui seraient trop qualifiés pour les emplois qu’ils occupent. Cette préoccupation apparaît dès la fin des années 1960, parallèlement à la première poussée de la massification scolaire. Dans Les Désillutions du progrès (1969), Raymond Aron évoque ainsi la possible diffusion d’un sentiment de déclassement au sein des premières cohortes de la massification scolaire puisque « probablement des diplômés devront-ils occuper demain des emplois qu’ils jugent aujourd’hui indignes d’eux ». Dans un article de 1978, Pierre Bourdieu prévoit quant à lui le « désenchantement » probable de certains diplômés. L’acuité de ces interrogations augmente ensuite à mesure que les conditions de l’insertion des jeunes sur le marché du travail se dégradent. Cette question du « déclassement » des diplômés est une question éminemment politique et qui occasionne par conséquent des débats parfois très vifs entre ceux qui soulignent les bénéfices de la démocratisation scolaire (sans la massification de l’école, le destin des jeunes issus des classes populaires serait encore plus sombre) et ceux qui soulignent les promesses déçues de l’ouverture de l’école. Dans ce dernier cas, le possible désajustement entre investissement scolaire et perspectives sociales peut être porteur d’un risque de déstabilisation de l’ordre social au niveau des jeunes générations. [...]
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Écrit par
- Camille PEUGNY : maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis
Classification
Autres références
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CLASSES SOCIALES - Classes moyennes
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