DÉCOUVERTE DES DÉFENSES IMMUNITAIRES DES INSECTES
Ilia (Élie) Metchnikov démontre, en 1882, la capacité des cellules intestinales de l’étoile de mer à ingérer et détruire des particules étrangères, dont les microbes. Il appelle ces cellules des « phagocytes ». Ce phénomène, la phagocytose, est universel ; c’est une réponse défensive spontanée, innée. À partir de 1890, Paul Ehrlich et Émile Roux démontrent chacun l’existence d’une réponse également défensive, induite par l’objet étranger et spécifique de ce dernier. Les molécules qui interviennent circulent dans le sang ; Ehrlich les nomme « anticorps » en 1897. Ils ne sont pas retrouvés ailleurs que chez les Vertébrés. Les deux systèmes, inné et induit, phagocytes et anticorps, coopèrent à la défense de l’organisme. Metchnikov et Ehrlich reçoivent ensemble le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1908.
De longue date, on savait les insectes particulièrement résistants aux bactéries. Dans la logique des travaux de Metchnikov, on pensait en général que cette capacité était due à l’activité spontanée des cellules phagocytaires abondantes chez les insectes et circulant dans leur hémolymphe. Mais ce mécanisme n’est pas suffisant pour expliquer cette résistance. En 1918, Rudolph W. Glaser, un chercheur de l’US Bureau of Entomology, associé à l’institution Bussey de l’université Harvard à Boston, découvre que l’injection d’une faible dose de bactéries à un criquet (Melanoplusfemurrubrum) fait apparaître, après quelques heures, une activité antibactérienne puissante dans son hémolymphe. Glaser l’interprète comme la manifestation d’une réaction « immunitaire » chez l’insecte ainsi « stimulé », d’une certaine manière assimilable à la production d’anticorps. L’article qu’il publie dans la revue d’entomologie Psyche porte d’ailleurs un titre sans ambiguïté : « Sur l’existence de principes d’immunité chez les insectes. » Les insectes sont donc capables, selon Glaser, d’une réponse immunitaire. C’est à elle que l’on attribue d’ailleurs la résistance des anophèles, les vecteurs du paludisme, au protozoaire responsable de la maladie. Au cours des années suivantes, les études du groupe de Serge Métalnikov à l’Institut Pasteur et d’André Paillot à Lyon confirment ce résultat et le généralisent : l’injection de faibles doses de bactéries induit chez différentes chenilles (Galleriasp.,bombyx) l’apparition d’une protection, ou « immunisation », active contre l’injection subséquente de doses normalement létales. En 1933, Métalnikov concluait que les réactions antibactériennes des insectes, qui leur donnent cette résistance remarquable, impliquent plusieurs mécanismes, dont la phagocytose et la production d’anticorps. Cette dernière interprétation, dans le droit fil de celle de Glaser, s’est révélée inexacte, mais féconde : un facteur soluble, qui circule dans l’hémolymphe, est bien induit par l’injection de microbes chez l’insecte, mais ce n’est pas un anticorps. C’est un peptide, ou plutôt une famille de peptides dotés d’une puissante activité antibactérienne.
La découverte de ces peptides antibactériens chez les insectes est à l’origine d’une branche entière de l’immunologie à partir de 1975 : l’étude moléculaire de l’immunité innée ubiquitaire et l’articulation de cette dernière avec l’immunité spécifique adaptative chez les Vertébrés. Il a fallu presque un siècle pour que les travaux de Metchnikov et d’Ehrlich soient perçus comme complémentaires. Le rôle majeur de Jules Hoffmann, chercheur français d’origine luxembourgeoise travaillant à Strasbourg depuis 1978 dans l’avancée de la recherche en immunité innée, lui a valu le prix Nobel de physiologie ou médecine 2011.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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