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DÉCROISSANCE (CRITIQUE DE LA)

De la décroissance au refus du développement et du progrès

Il n'existe pas un corpus unique et cohérent théorisant la décroissance, entendue comme une diminution de la production. On peut néanmoins dégager un axe principal et fédérateur du courant de la décroissance, c'est celui de la critique radicale du développement et du progrès, allant même jusqu'à récuser définitivement ces notions.

Le premier argument invoqué, notamment par François Partant, Serge Latouche et Gilbert Rist, est de constater que le développement fut, au cours de l'histoire moderne, à partir du xvie siècle, le vecteur de la domination occidentale sur le reste du monde. Domination économique, politique, souvent militaire et surtout culturelle qui a désintégré les économies et les sociétés traditionnelles, sans que les populations ainsi déstructurées et acculturées aient pu, dans leur grande majorité, accéder aux bienfaits supposés du développement.

Ces auteurs récusent ensuite la distinction traditionnelle faite par les économistes du développement entre croissance et développement, la première étant la condition nécessaire mais non suffisante du second, celui-ci intégrant les aspects qualitatifs de l'amélioration du bien-être. Le motif est que, historiquement, on n'aurait jamais constaté l'une sans l'autre, provoquant les mêmes dégâts. Les théoriciens de la décroissance assimilent ainsi l'ensemble de l'économie du développement au paradigme de l'économiste libéral Rostow qui, en 1960, a défini les « cinq étapes de la croissance » conduisant nécessairement au bien-être. Ils assimilent donc ainsi toutes les théories et les stratégies de développement, aussi hétérodoxes qu'elles aient prétendu être, à ce modèle linéaire dans lequel il est impossible de distinguer croissance et développement, pour le meilleur et pour le pire, le bilan étant nettement défavorable.

Il en résulte une dénonciation catégorique du développement « durable », « soutenable », « humain » ou associé à un quelconque autre qualificatif, car il s'agit, selon le mot de Latouche, d'un oxymore. Le développement ne peut être autre que ce qu'il a été, comme naguère certains parlaient du « socialisme réellement existant ». Et s'il n'y a pas d'autre développement que celui-ci, c'est parce que l'Occident a « inventé l'économie », entendue comme activité séparée du reste de la société et lui imposant sa logique de rationalisation. Autrement dit, les théoriciens de la décroissance reprennent la notion de désencastrement forgée par l'historien de l'économie Karl Polanyi, mais en la prolongeant de manière inattendue, tantôt en proposant de réencastrer l'économie dans le social, tantôt en proposant de « sortir de l'économie » pour se défaire définitivement de l'économisme. La décroissance serait alors, selon l'expression de Paul Ariès, un « mot obus », afin de « décoloniser l'imaginaire », ajoute Latouche en reprenant un concept de Castoriadis.

Cette thèse entend donc se situer au niveau de la philosophie politique, puisque nombre de ses théoriciens remettent en cause la philosophie des Lumières qui nous a légué une conception du progrès qu'il ne suffit pas de considérer comme dépassée mais qu'il faut aussi tenir pour nocive, car elle contient en elle la domestication de la nature et un universalisme des valeurs et des droits qui fait fi de la diversité culturelle dans le monde. Ce versant relativiste est revendiqué avec plus ou moins de force à l'intérieur du courant de la décroissance ; en fait, il suscite des différends en son sein et constitue l'une des principales raisons conduisant à s'en démarquer.

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Écrit par

  • : maître de conférences d'économie à l'université de Bordeaux-VI, président de l'association Attac France

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