DÉCROISSANCE (CRITIQUE DE LA)
La décroissance controversée
Les critiques adressées à la thèse de la décroissance et du refus du développement n'invalident pas celles qui sont portées contre le productivisme. Mais elles font état de questions non résolues par les théoriciens de la décroissance. Les unes relèvent du registre économique, les autres, plus complexes, relèvent de la philosophie politique.
La décroissance sans bornes ?
Si la production diminuait indistinctement, et a fortiori sans limite, dans tous les secteurs d'activité et au sein de tous les pays du monde, deux éléments essentiels seraient oubliés : les tendances démographiques et les besoins humains.
Selon les projections moyennes les plus fiables, la population mondiale augmentera de moitié dans les cinquante années à venir. La croissance démographique n'est plus exponentielle puisqu'elle tendra à se stabiliser, mais la thèse de la surpopulation est tout de même, au moins implicitement, répandue parmi les partisans de la décroissance. Selon Naess, la diminution de la population mondiale est impérative. Jusqu'où ? La question n'a pas de réponse nette : Latouche évoque dans Le Pari de la décroissance le nombre de trois milliards, celui de la population vers 1960, date à laquelle l'humanité aurait dépassé une empreinte écologique de 100 %. Mais personne ne se risque à dire comment y parvenir, tellement le principe même de cette proposition va au-delà du malthusianisme, remis au goût du jour dans les années 1970 par le biologiste américain Paul R. Ehrlich, pour rejoindre certaines thèses eugénistes.
Les partisans de la décroissance restent également évasifs sur le point de savoir jusqu'où il faudrait faire décroître la production. Seul Latouche avance l'idée de revenir à « une production matérielle équivalente à celle des années 60-70 ». S'il s'agit du niveau atteint à cette date par les pays riches, cela signifie que les pays pauvres auraient le droit de les rejoindre à ce niveau ; or Latouche récuse le principe même de cette imitation, synonyme selon lui d'acculturation. Sans parler du fait que c'est le productivisme débridé enclenché pendant les Trente Glorieuses dont nous payons le prix aujourd'hui.
L'opinion renvoyant l'extrême pauvreté à une simple projection des valeurs occidentales ou à un pur registre imaginaire, défendue par Latouche dans son article « Il faut jeter le bébé plutôt que l'eau du bain », est-elle recevable ? Dans l'état de dénuement d'une grande partie de la population mondiale, peut-on opposer la qualité du bien-être à la quantité de biens disponibles si l'on appelle développement la possibilité pour tous les habitants de la Terre d'accéder à l'eau potable, à une alimentation équilibrée, aux soins et à l'éducation ? En récusant le concept de développement, les théoriciens de la décroissance s'éloignent d'ailleurs de leur inspirateur Georgescu-Roegen qui ne le confondait pas avec la croissance. De même, la déconnexion du développement de la croissance est envisagée par Daly ou par les altermondialistes d'Attac. Par ailleurs, les dégâts, en termes de dégradations et de pollution, occasionnés par le productivisme sont tels qu'ils nécessiteront des activités de réparation très importantes qui constitueront une occasion de croissance du PIB, sans qu'elle puisse être considérée comme une amélioration du bien-être par rapport à la situation précédant les dégâts, mais sans laquelle la diminution du bien-être serait indiscutable. La question des transitions pour modifier les sources énergétiques, les systèmes de transports, les modes de chauffage, l'habitat, l'urbanisme, etc., est évacuée. De plus, si la décroissance intervenait de manière globale dans les pays riches, l'impasse serait faite sur la précarisation du [...]
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Écrit par
- Jean-Marie HARRIBEY : maître de conférences d'économie à l'université de Bordeaux-VI, président de l'association Attac France
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Médias