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DÉCROISSANCE

Occultation et réactivation du débat

Dans les années 1970, dans un contexte qui mêlait l'esprit de contre-culture de Mai-68, la crise du pétrole provoquée par le coup de force de l'OPEP, le mouvement des non-alignés au sein des pays du Sud et les premières grandes inquiétudes face à l'idée de progrès, la critique de la croissance va bon train. En France, la revue La Nef, de tendance catholique, publie en 1973 un numéro intitulé « Les Objecteurs de croissance – prospérité oui... mais à quel prix ? », dans lequel signent des personnalités comme Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement, René Dumont, Michel Rocard, Bertrand de Jouvenel, Lionel Stoléru. Les écologistes ne sont pas en reste, de nombreuses publications critiquent directement ou indirectement la croissance. Citons Nous n'avons qu'une seule Terre (du biologiste et écologue René Dubos et de l'économiste britannique Barbara Ward (1972), The Closing Circle de Barry Commoner (1972), Le Macroscope de Joël de Rosnay (1975), L'Homme re-naturé de Jean-Marie Pelt (1977), etc. En 1977, la CFDT publiait Les Dégâts du progrès.

Le triomphe du néolibéralisme symbolisé par les élections de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, la crise de la dette des pays du Tiers Monde, l'arrivée de la gauche au pouvoir en France, les déceptions qui s'ensuivirent, l'austérité et l'effritement de ce que « gauche » signifiait ont peu à peu éliminé ce débat de la scène publique. Quand Jacques Grinevald et Ivo Rens publient en 1979 un recueil de textes de Nicholas Georgescu-Roegen sous le titre La Décroissance, l'ouvrage passe quasi inaperçu. La critique de la société industrielle recule. Les années 1980 (les « années fric ») et 1990 sont des années fastes pour les bénéficiaires de « l'économie de marché », notion désormais adoubée par la gauche de gouvernement. Et dans les pays riches, les gagnants et ceux qui sont persuadés de l'être bientôt sont alors très nombreux. Avec la chute de l'Union soviétique, le monde paraît désormais guidé par un modèle unique. Pour désigner la brutale accélération de l'homogénéisation financière et commerciale de la planète, le terme globalizationapparaît, traduit en français par « mondialisation ». Des analystes américains tels que Francis Fukuyama glosent alors sur la « fin de l'Histoire ».

Mais le tournant du millénaire change la donne. Crise asiatique en 1997, éclatement de la bulle Internet en 2000, attentats du World Trade Center en septembre 2001, guerres d'Afghanistan et d'Irak, arrivée sur la scène internationale de pays « émergents » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) rebattent les cartes. La spéculation et les errements du système financier international sont de plus en plus critiqués. La crise pétrolière refait surface, avec des prix qui flambent. En 2002 paraissent deux numéros de la revue écologiste Silence, qui connaissent un succès inattendu – tout comme le colloque organisé à l'UNESCO par l'association La Ligne d'horizon sur le thème « Défaire le développement, refaire le monde ». Ces numéros portent sur la « décroissance », un terme choisi pour son côté provocateur. À l'origine de ces numéros, Vincent Cheynet et Bruno Clémentin, fondateurs de la revue Casseurs de pub – la revue de l'environnement mental. Le succès les pousse à fonder un journal : La Décroissance, le journal de la joie de vivre, en 2004. La thématique intéresse un large public. Des universitaires fondent Entropia, revue d'étude théorique de la décroissance ; de nombreux sites Internet se créent, des partis politiques, des associations d'objecteurs de croissance, des marches pour la décroissance, etc. L'idée gagne peu à peu les esprits. La presse généraliste tend à s'emparer de la question, à l’image de Natacha[...]

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Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

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