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DÉCROISSANCE

Sources théoriques de la décroissance

À rebours de la thèse dominante, les « objecteurs de croissance », qui goûtent peu d'être qualifiés de « décroissants », s'accordent sur le fait que la crise écologique et sociale actuelle ne peut pas trouver sa solution dans un surcroît de croissance économique. À partir de là, on peut repérer cinq grandes sources idéologiques à l'origine de ce diagnostic.

La première est la source écologiste. Les réseaux écologistes militants sont d'abord constitués d'associations dont le souci premier est la défense des écosystèmes, des espèces sauvages et domestiques dans leur diversité, qui se manifeste sous la forme d’une forme d’un attachement au « vivant ». Ils constatent que la croissance est l'argument qui est le plus fréquemment opposé à leurs revendications. Ils critiquent l'ignorance des économistes, qui ne connaissent pas ce dont ils justifient la destruction. La pensée écologiste se construit contre la standardisation du vivant et le remplacement de celui-ci par des milieux artificiels et des robots. Certaines versions égalitaristes de l'écologisme proposent de limiter l'espace écologique humain sur la base de la population mondiale et des capacités de charge des écosystèmes, ce qui aboutirait à des réductions de l'ordre de 70 à 80 % des consommations matérielles des zones les plus riches – une baisse incompatible avec la croissance économique. Les écologistes ne se prononcent pas tous pour autant pour la décroissance. Les raisons sont diverses : désintérêt pour les théories économiques au profit des luttes de terrain ; souci de ne pas prendre l'électorat à rebrousse-poil ou foi dans une « croissance verte »…

Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

Décharge à New Delhi

La seconde source est « bioéconomique », elle s'inscrit notamment à la suite des travaux du mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen. À l'inverse de Solow et de Nordhaus, il estime que les solutions techniques sont limitées, car le processus économique est soumis à la loi de l'entropie : les sources de « haute entropie », de matière et d'énergie organisées, tendent à décroître, sans se reconstituer. La Terre reçoit certes de l'énergie du Soleil mais en quantité limitée. La perspective, à terme, est donc celle d'une décroissance. La date fait bien sûr l'objet de nombreux débats, du fait des alternatives possibles, qui ne sont pas sans conséquences sociales et environnementales – solaire, nucléaire, etc. Mais elle n'excède pas la fin du xxie siècle. On est loin des « millions d'années » avancés par William Nordhaus et ses collègues dans les années 1970. Pour Georgescu-Roegen, l'idéal d'une économie en état stable (steady state economics), développé naguère par l'économiste Herman Daly, était « un mirage à la mode », dans les années 1970. Daly lui-même s'est récemment dit soucieux de penser la décroissance, la taille des économies développées ayant atteint selon lui un point qui interdit de penser qu'une décroissance est encore évitable. Depuis lors, la discussion sur les limites à la croissance est serrée. Les énergies renouvelables pourront-elles remplacer les fossiles ? Dans quelle proportion ? À quel coût ? Et les métaux ?

La troisième source est démocratique. L'auteur clé ici est Ivan Illich. Pour cet auteur le problème ne réside pas tant dans la « marchandisation du monde » et la consommation croissante que dans l'inversion des institutions : créées pour nous servir, elles nous transforment en leurs serviteurs. La croissance est la croissance de leur pouvoir, au détriment du nôtre : elles sont devenues « contre-productives ». La voiture, loin de nous faire gagner du temps, nous oblige à travailler plus pour la payer et à attendre dans les embouteillages. Le système éducatif, auquel nous contribuons[...]

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Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

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