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DÉCROISSANCE

Malthusianisme, archaïsme, protectionnisme ?

Que faire de l'accusation de « malthusianisme », brandie par les libéraux et les marxistes contre les objecteurs de croissance ? Malthus avait eu ces mots terribles, qui ont hanté l'imaginaire socialiste : « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n'a pas les moyens de le nourrir, ou si les riches n'ont pas besoin de son travail, cet homme, dis-je, n'a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n'y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s'en aller, et elle ne tardera pas à mettre elle-même cet ordre à exécution. » Les objecteurs de croissance soutiennent-ils cette position ? Non, ou alors par sentiment d'impuissance devant les énormes dynamiques destructrices qui se mettent en mouvement. Si l'accusation revient si souvent, c'est pour deux raisons.

La première est que l'accusation de « malthusianisme » est désormais utilisée pour disqualifier toutes les politiques appelant à limiter la consommation, quelle qu'en soit la raison. L'accusation a donc un spectre extrêmement large, inconnue du temps de Malthus. William Godwin, contre qui Malthus polémiquait, intégrait, comme Proudhon et nombre de ses contemporains socialistes, la finitude des ressources. C'est même ce qui leur permettait de condamner l'appropriation privée, au nom du droit à l'existence. Godwin discutait de règles de vie permettant de limiter la population, de manière à ce que chaque personne puisse être à l'aise – et nul, évidemment, n'aurait songé à l'accuser de « malthusianisme » ou d'un équivalent. À l'inverse, aujourd'hui, les courants progressistes ont tendance à ne voir de salut que dans la croissance, en dépit d’une indéniable progression de l’écosocialisme, et récuser toute discussion sur la population. Les objecteurs de croissance soulignent que cette croissance est un trompe-l'œil, que l'égalité économique des conditions qu'elle promet in fine est utopique.

La seconde raison est que les écologistes, quand ils ont posé la question des limites, en premier, ont excessivement pointé du doigt la population – il en va ainsi notamment de La Bombe P de Paul Ehrlich en 1973. Ignorant des débats qui traversent l'économie politique, l'essai est maladroit. Mais c'était inévitable car la plupart de ces auteurs, Ehrlich en tête, étaient des biologistes, ce qui les conduisait facilement à poser le problème en termes de rapports entre ressources et population. Pour autant les propos des biologistes ont été largement caricaturés : chacun s'apercevra, en lisant La Bombe P, que les auteurs mettent largement en cause le mode de vie et les inégalités, et qu'ils n'ont jamais endossé la terrifiante position de Malthus.

Pour les objecteurs de croissance, c'est la question du partage humain dans toutes ses dimensions (temps, espace, biens matériels et immatériels), et pas seulement du partage de la valeur ajoutée, qui doit être mise sur la table. En cela leur position est profondément antimalthusienne.

Que penser aussi de l'accusation d'archaïsme, du fantasme du « retour à l'âge de pierre » ? Une certaine histoire présente souvent les sciences et techniques modernes comme l'expression la plus aboutie d'une connaissance et d'une maîtrise de la nature, sources de progrès infinis. Au contraire de cette vision historiciste, la crise contemporaine exhibe les limites de la science moderne : changements climatiques, accidents nucléaires, OGM, crise financière, etc. L'incertitude augmente, au lieu de diminuer. Les instruments de domination de la nature semblent avoir dépassé un point au-delà duquel ils deviennent contre-productifs,[...]

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Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

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