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DÉCROISSANCE

Les risques de la décroissance

Sur la forme, se réclamer de la décroissance entraîne le risque que le mot soit tellement choquant que les oreilles du destinataire se ferment, au lieu de s'ouvrir. On l'a dit, la décroissance induit de la radicalité dans le questionnement et dans les revendications, c'est sa vertu ; mais c'est aussi son défaut, car c'est à ce titre qu'elle peut être écartée. Se revendiquer de l'objection de croissance devient alors synonyme d'utopisme, d'irréalisme – ce qui permet d'écarter la problématique au profit de questions réputées « plus sérieuses », telles que la « croissance verte » et ses différentes déclinaisons (biocarburant, éolien, recyclage des déchets, écoresponsabilité, etc.).

Sur la forme, toujours, la capacité du terme à provoquer des débats est un avantage mais aussi une limite. Dans un monde d'experts où l'unanimité est désormais de mise autour de l'objectif de développement durable, la décroissance met le doigt là où ça fait mal, pose des questions que nul autre concept ne parvient à poser. Mais ce « mot-obus », comme le qualifiait Paul Ariès dans les années 2000, peine à faire consensus quant à son contenu positif. De nombreuses mouvances revendiquent le terme, pour des raisons différentes, avec des acceptions différentes. Rien n'indique qu'elles puissent facilement s'entendre et s'unifier.

Sur le fond, entrer dans la problématique de la décroissance, voire se réclamer objecteur de croissance présente plusieurs difficultés, plusieurs risques, dont aucun toutefois n'est spécifique à la thématique. Un des risques est que la critique du capitalisme et de la modernité qui sous-tend l'objection de croissance, qui est largement ancrée à gauche, ne soit récupérée par des tendances politiques situées à l'opposé. Ce risque semble faible, le cas d'Alain de Benoist, auteur d'un Demain la décroissance paru en 2007, est isolé. La droite est ancrée dans le productivisme, quand elle est libérale, et si tel n'est pas le cas, dans le respect de l'autorité et des institutions – afin qu'elles soient fortes, donc pourvues de moyens, et non pas « décroissantes ». Aucune de ces deux revendications n'est celle des mouvements de la décroissance tels qu'ils existent aujourd'hui. Le risque de « récupération » de certains thèmes ne peut donc être qu'apparent. Depuis la fin du marxisme et la « nouvelle gauche » dont Derrida peut être le symbole, un clivage nouveau s'est installé, qui touche les débats sur la décroissance : la gauche productiviste, pour qui le conflit majeur réside dans l'opposition du capital et du travail, se trouve en alliance objective avec la droite libérale pour défendre l'universalité de la modernité, contre une autre gauche, « culturelle », « nouvelle gauche », qui met au contraire en cause l'universalisme moderne, sous des angles différents. De l'école de Francfort aux post-marxismes, en passant par les courants postcoloniaux, l'antiutilitarisme, les nouvelles conceptions de la richesse et les science studies, toutes ces pensées sont taraudées par une même question, bien résumée dans la formule de Jean-Paul Besset : « Comment ne plus être progressiste sans devenir réactionnaire ? » Une lecture superficielle montre que ces courants peuvent en effet accorder un certain intérêt à des thèmes réputés « réactionnaires » – l'histoire, l'identité, etc. Cela explique que les uns accusent les autres de collusion, et réciproquement. Mais l'observation s'arrête là : dès qu'on rentre dans le détail, il n'est pas plus possible de confondre l'anticapitalisme avec le libéralisme que la gauche déconstructiviste avec la réaction. À ce jour, les mouvements[...]

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Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

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