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DÉCRYPTAGE DES PAPYRUS D'HERCULANUM

Les spécialistes des écrits anciens sur papyrus attendaient beaucoup des techniques d’imagerie pour percer le secret des rouleaux retrouvés entre 1752 et 1754 à Herculanum sous la lave du Vésuve qui les avait conservés depuis l’éruption de 79, au cours de laquelle ils furent carbonisés à une température de plus de 300 0C.

Les papyrus d’Herculanum et les techniques d’imagerie - crédits : Institut de France-ESRF Grenoble

Les papyrus d’Herculanum et les techniques d’imagerie

Depuis longtemps, de gros efforts avaient été déployés pour lire le contenu de ces rouleaux, noirs cylindres de 7 à 10 centimètres de section, durs et très fragiles à la fois, écrasés et déformés. Ce faisant, on les avait gravement mutilés, jusqu’au dernier essai mené à Naples en 1986-1987, qui transforma deux rouleaux entiers provenant de Paris (sur six) en puzzles géants d’environ 300 pièces chacun. Plusieurs centaines de rouleaux, parmi les moins abîmés par l’éruption, ont été en effet « écorcés », afin que leur cœur soit patiemment déroulé grâce à la machine à dérouler les papyrus inventée au xviiie siècle par Antonio Piaggio. Ils contiennent des textes grecs jusqu’alors inconnus, essentiellement épicuriens : une partie des 37 livres de De la nature d’Épicure et des écrits de ses disciples, Philodème de Gadara surtout, un ami de Virgile, quelques textes latins et aussi des œuvres du stoïcien Chrysippe.

Les bibliothèques qui conservent aujourd’hui les rouleaux (Naples, Oxford et Londres) n’acceptent pas de les prêter à cause de leur fragilité, même pour des examens non invasifs. Seule exception, la bibliothèque de l’Institut de France. Dès 2007, celle-ci a accepté de prêter trois épais fragments du « puzzle » pour diverses expériences menées au VisCenter de Lexington (États-Unis). En 2009, la même équipe américaine de W. B. Seales a pu scanner à Paris, avec l’accord de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (A.I.B.L.), deux autres rouleaux entiers grâce à la générosité de la firme SkyScan. Si l’opération a fourni des informations précieuses sur leur structure interne, elle n’a pas permis de détecter de trace d’écriture sur les fibres, pourtant bien visibles.

À la fin de 2013, le prêt d’un des rouleaux déjà scannés est autorisé cette fois pour une expérience à mener au Synchrotron européen de Grenoble (European Synchrotron Radiation Facility, E.S.R.F.) par une équipe franco-italienne de quatre chercheurs. À partir des résultats des tests américains publiés à l’été 2013, Vito Mocella (Consiglio Nazionale delle Ricerche, C.N.R., Naples), Daniel Delattre (C.N.R.S., Paris), Emmanuel Brun et Claudio Ferrero (E.S.R.F.) veulent tenter de soumettre le rouleau carbonisé à la tomographie X à contraste de phase (XPCT). Confiants dans les performances exceptionnelles des « lignes de lumière » de l’E.S.R.F., ces chercheurs se proposent de déceler sur les fibres du papyrus, par réfraction d’un faisceau de rayons X, l’infime épaisseur de l’encre restée jusque-là invisible. Trois scans, différemment paramétrés, vont fournir des milliers d’images virtuelles en coupe, à « reconstruire » ensuite à l’aide de logiciels adaptés.

Le pas est franchi : des lettres grecques sont apparues à l’intérieur d’un papyrus carbonisé d’Herculanum. Des alignements de caractères se dessinent, sans que tous soient aisément identifiables. L’analyse des encres, en cours, devrait aider à affiner la technologie mise en œuvre (choix optimisé des « lignes de lumière » et des systèmes optiques), tandis que les chercheurs devront se former au déchiffrement du texte sur des logiciels conçus à cet effet.

L’entreprise n’en est qu’à ses débuts. Elle est prometteuse, de longue haleine, et devrait permettre d’en savoir plus sur quelque 300 rouleaux d’Herculanum non encore déroulés, sans risquer de les endommager davantage.

— Daniel DELATTRE

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, Institut de recherche et d'histoire des textes

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Les papyrus d’Herculanum et les techniques d’imagerie - crédits : Institut de France-ESRF Grenoble

Les papyrus d’Herculanum et les techniques d’imagerie