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DEEP BLUE, superordinateur

L’enjeu : qu’est-ce que l’intelligence ?

Les controverses qui s’ensuivent sont aussi intéressantes que le tournoi lui-même.

Des experts minimisent la portée de la défaite de Kasparov qui a effectivement moins bien joué qu’à son habitude (il aurait été perturbé par un mouvement aberrant de Deep Blue à la fin de la première partie, dû à un bug dans le logiciel, mais qu’il aurait interprété comme un signe de suprême intelligence). Toutefois, cet argument perd sa validité à mesure que les ordinateurs deviennent plus puissants. Plus important, certains mettent en question la valeur intellectuelle des échecs, jeu où la force brute peut l’emporter : un ordinateur comme Deep Blue est capable d’envisager, par seconde, deux cent millions de variantes avec leurs conséquences, tandis qu’un humain réfléchit plus en finesse. La force brute de calcul déployée par Deep Blue reste en effet très loin de la vision des promoteurs pionniers de l’intelligence artificielle (IA), qui rêvaient d’une intelligence artificielle beaucoup plus proche du fonctionnement intuitif du cerveau humain. Cette controverse rejoint d’anciennes réflexions philosophiques sur la nature de l’intelligence, qui ne se réduit pas à la rationalité mécanisable.

Rejeter le jeu d’échecs comme test d’intelligence est une réaction typique des détracteurs de l’intelligence artificielle : si un problème peut être résolu par une machine, on cesse de le considérer comme relevant de l’intelligence au sens le plus élevé. Mais ce rejet a une réelle pertinence, puisqu’il contribue à définir plus précisément les différentes acceptions de l’intelligence. Par ailleurs, cette histoire est un bon exemple de programme de recherche, d’agenda intellectuel, qui oriente les efforts scientifiques en leur donnant un but, même symbolique (il n’y a pas d’enjeu stratégique dans la victoire d’un ordinateur aux échecs). Elle illustre aussi l’importance du jeu à l’origine de maints développements techniques, depuis la turbine à vapeur (ou éolipile) de Héron d’Alexandrie (ier siècle après J.-C.) ou les automates de Jacques de Vaucanson (1709-1782). 

Kasparov lui-même soulignera que, dans un tel match, l’homme ne s’oppose finalement pas à une machine, mais à un vaste système à la fois électronique et humain : l’ordinateur a été programmé par des intelligences humaines qui l’ont nourri de milliers de parties jouées autrefois par des champions humains.

Après le tournoi de 1997, le jeu d’échecs cède son rôle historique de test au jeu de go, ancestral jeu chinois fondé sur des règles plus simples avec des possibilités de mouvements beaucoup plus nombreuses, demandant plus d’intuition et laissant moins de latitude à la force brute. En mars 2016, un match rappelant celui de Deep Blue contre Kasparov a vu le champion coréen Lee Sedol vaincu 1 à 4 par le logiciel AlphaGo. Ce dernier, développé par Google, utilise des technologies plus subtiles que Deep Blue : des réseaux neuronaux et des systèmes d’apprentissage plus proches du processus de décision humain.

— Pierre MOUNIER-KUHN

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Garry Kasparov et Deep Blue - crédits : Stan Honda/ AFP

Garry Kasparov et Deep Blue

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  • INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (IA)

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  • KASPAROV GARRY (1963- )

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