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DÉFORESTATION

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Déforestation et agro-industrie

Si l'explosion démographique est l'une des causes du recul des forêts dans le monde, faire de cette idée malthusienne l'unique responsable est à la fois simpliste et erroné. Si elle y participe, c'est surtout l'appétit d'un petit nombre – les pays du Nord – qui est à l'origine de cette situation. Mais est-ce un appétit pour le bois ? C'est certes ce qui vient à l'esprit lorsqu'on évoque cette déforestation. Toutefois, si l'exploitation du bois participe au déboisement global, le principal moteur est l' agriculture ou, plus précisément, l'agro-industrie. C'est la conversion de zones de forêts en terres agricoles pour l'élevage bovin ou le soja en Amazonie, pour le palmier à huile en Asie du Sud-Est, ou encore en fast wood (des arbres à croissance rapide, tels que les eucalyptus ou les acacias, destinés à l'industrie de la pâte à papier), qui est majoritairement responsable de cette destruction des sylves planétaires. À cela s'ajoutent l'urbanisation galopante, la construction frénétique de nouvelles routes et autoroutes, l'exploitation minière (or, pétrole...), la construction de nombreux barrages hydroélectriques, sans oublier les guerres (utilisation de défoliants au Vietnam, exploitation des ressources forestières comme le bois pour financer l'achat d'armes au Liberia et en Sierra Leone durant la guerre civile...).

Rappelons qu'il existe également des moteurs naturels de la déforestation, tels les feux de forêts ; cependant, rapportés aux causes anthropiques, ils sont marginaux et ne peuvent être tenus pour responsables du spectaculaire recul des forêts dans le monde. Quant à la désertification, qui sévit notamment en Afrique, si son mécanisme s'inscrit dans la dynamique des changements climatiques globaux, les facteurs déclencheurs sont avant tout humains, liés à une surexploitation des forêts, du bois...

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Afin de mieux comprendre ce qui se cache derrière cette déforestation, on analysera deux exemples : l'industrie de la pâte à papier en Tasmanie et l'huile de palme en Indonésie.

Forêt de Tasmanie et industrie papetière

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie - crédits : D. Hyde/ Shutterstock

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie

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Terre perdue au large de l'Australie, la Tasmanie abrite une forêt échappée d'un autre temps et dont les hôtes sont, entre autres essences, les vénérables cèdres de Tasmanie, des Eucalyptus regnans géants et des pins Huon. C'est l'une des dernières forêts tempérées humides du monde, caractérisée par un très fort taux d'endémisme. Cependant, la forêt de Wielangta et celle de la vallée du Styx sont en train de disparaître sous l'action d'une poignée d'hommes. Ces derniers, non contents de couper les arbres les plus vieux qu'ils transforment en copeaux puis en pulpe pour l'industrie papetière, arrosent de napalm ce qui reste de ces forêts et y mettent le feu (pour faire place aux plantations de fast wood), détruisant en même temps la faune associée à ces lieux. Ensuite, afin de préserver les jeunes pousses des animaux qui s'en nourrissent, ils dispersent du 1080, nom commercial du fluoroacétate de sodium, qui est un puissant poison neurotoxique. Cette partition sinistre est orchestrée par l'industrie de la pâte à papier, tout particulièrement par l'entreprise Gunns Limited et l'agence d'État Forestry Tasmania, responsable de la gestion des forêts de ce pays. À elles deux, entre les concessions privées et les forêts d'État, elles détiennent un quasi-monopole sur l'industrie forestière en Tasmanie. Chaque année, ce sont plus de 35 000 hectares de forêts anciennes qui sont rasés, dont 15 000 par de sévères coupes à blanc. L'objectif est double : utiliser cette matière première boisée pour alimenter les usines de pâte à papier, puis y installer des plantations d'arbres à croissance rapide pour assurer leur futur approvisionnement. Depuis 1997, plus de 140 000 hectares de forêts ont été convertis en plantations. Le produit issu de cette déforestation est surtout destiné à l'exportation vers le Japon, le plus gros acheteur de pulpe et de matières brutes. À la fin de 2006, la Cour fédérale australienne a reconnu que les pratiques de Gunns Limited et de Forestry Tasmania, principalement dans la forêt de Wielangta, violaient le Tasmania's Regional Forest Agreement de novembre 1997 et allaient à l'encontre des lois sur la protection de l'environnement et de la biodiversité australienne en portant atteinte à la survie d'espèces protégées. Selon un rapport de Tasmania Conservation Trust datant de 2005, au moins 100 000 animaux sauvages ont été tués chaque année de 2002 à 2004. À la fin de l'année 2005, l'utilisation de napalm a été interdite dans les forêts d'État, mais Gunns Limited continue de l'employer dans ses concessions privées. Pour justifier le recours au 1080, Forestry Tasmania déclare que « l'utilisation de produits chimiques dans la plantation forestière est faible, comparé à ce qui est pratiqué dans l'agriculture ». Et la direction de Forestry Tasmania d'affirmer que « l'exploitation de la forêt de Wielangta est sélective et que ce n'était en aucun cas une forêt ancienne ». En effet, comme les forêts anciennes ne peuvent pas être exploitées, une des clés du débat est justement la définition de la « forêt ancienne » ; celle que donnent les autorités est suffisamment floue pour ouvrir la porte à toutes les interprétations.

L'huile de palme et la forêt

Originaire d'Afrique de l'Ouest, le palmier à huile fut d'abord importé à la fin du xixe siècle en Malaisie comme plante ornementale, avant d'être cultivé pour son huile. En 1961, on comptait dans le monde 3,6 millions d'hectares de palmiers à huile, essentiellement localisés en Malaisie. En 2006, ces cultures, toujours en expansion, s'étendaient sur 13,4 millions d'hectares et étaient présentes dans quarante-trois pays, principalement en Indonésie et en Malaisie – pays qui fournissent à eux deux plus de 80 p. 100 de l'huile de palme mondiale –, sans oublier Madagascar, la République démocratique du Congo, le Togo, la Colombie, le Pérou ou les Philippines. Loin d'être anodines, elles représentent un dixième des terres cultivées sur la planète. Ces vastes champs aux allures de damier ocre et vert sont cultivés au détriment de la surface forestière. Selon les chercheurs et la F.A.O., de 1990 à 2005, de 55 à 59 p. 100 de l'expansion de ces cultures en Malaisie et au moins 56 p. 100 en Indonésie se sont effectués aux dépens des sylves. Or, comme l'ont montré diverses études, la conversion de zones forestières en plantations de palmiers à huile entraîne une perte cruciale de la biodiversité, avec la disparition de 50 à parfois plus de 70 p. 100 des espèces. Les plantations de palmiers à huile abritent moins de la moitié des espèces de vertébrés qui se rencontrent dans les forêts primaires, à peine un tiers des espèces d'oiseaux et moins d'un cinquième des papillons présents dans les sylves voisines. De plus, ces lieux attirent de nombreuses espèces invasives, parmi lesquelles les rats ou les fourmis. Si on compare les divers types de plantations (palmier à huile, hévéa, cacao, café, ou acacia pour la pâte à papier), la richesse spécifique la plus faible s'observe dans les plantations de palmiers à huile, tous les autres types de cultures abritant non seulement plus d'espèces, mais aussi plus d'espèces forestières. L'érosion de la biodiversité est d'autant plus critique que les espèces touchées par l'expansion du palmier à huile sont évidemment celles qui sont les plus spécialisées – dépendant d'une alimentation très spécifique ou d'un habitat particulier – ou bien encore des espèces déjà très menacées et/ou endémiques à une minuscule zone forestière. Par ailleurs, la conversion des forêts en monocultures de palmiers à huile a de nombreuses répercussions sociales, à la fois pour les populations autochtones chassées de leurs terres ancestrales, le plus souvent sans aucune compensation (n'oublions pas que, dans le monde, 350 millions de personnes vivent encore dans les forêts), et pour les populations locales. Si l'industrie qui gravite autour du palmier à huile est un réel facteur de développement économique, permettant à de multiples personnes de travailler et de vivre, de nombreuses autres sont employées dans des conditions proches de l'esclavage moderne. Par ailleurs, à l'échelle planétaire, 1,8 milliard de personnes dépendent de la forêt et de ses ressources pour vivre, voire pour survivre. Est-ce que ce développement économique, qui est loin de profiter au plus grand nombre, peut se justifier à tout prix, et notamment au détriment des forêts qui font vivre près d'un tiers de la population mondiale ? En effet, raser des forêts précipite nombre de personnes dans l'insécurité alimentaire.

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Écrit par

  • : docteure en primatologie et conservation des grands singes, journaliste scientifique

Classification

Médias

Forêt de Bialowieza, Pologne - crédits :  (A. Bolbot/ Shutterstock

Forêt de Bialowieza, Pologne

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie - crédits : D. Hyde/ Shutterstock

Déforestation dans la vallée de Styx, Tasmanie

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Mouvement de la ceinture verte

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