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DEGAS ET LE NU (exposition)

Le corps mis à nu

Il y a manifestement, dans la représentation du nu chez Edgar Degas, une approche critique de l'humain et de la société. Cette manière de dénoncer en dessinant atteint une sorte de paroxysme dans la série de monotypes (impression sur papier d'une peinture réalisée sur plaque de métal) représentant des scènes de maisons closes réalisés dans les années 1870. À une époque où les photographies pornographiques se multiplient sous le manteau, cette thématique le voit rompre avec la tradition classique. Dans ces images, Degas fait le choix d'une forme de naturalisme explicite, qui ne vise pas à la description mais traduit plutôt, non sans ironie, les stéréotypes que revêt la prostitution dans l'imaginaire collectif du temps. Ces œuvres, tenues probablement secrètes du vivant de Degas, sont d'une puissance d'évocation inversement proportionnelle à la petitesse de leurs formats. Elles montrent en quoi le sujet guide chez l'artiste la recherche des cadrages, l'adaptation de la technique et du style.

<it>Après le bain, femme s'essuyant la nuque</it>, E. Degas - crédits : Josse/ Leemage/ Corbis/ Getty Images

Après le bain, femme s'essuyant la nuque, E. Degas

Le choix du monotype s'affirme également, de la fin des années 1870 au début des années 1880, dans des œuvres de format sensiblement plus grand. On y voit Degas s'attacher à la représentation de femmes nues saisies dans une activité intime, comme la toilette, la coiffure, ou le repos après le bain. Ces feuilles sont d'une modernité technique étonnante, et le monotype sert parfois de support au rajout de couleurs au pastel. D'une sensualité naturelle, des gravures et de grands pastels, comme Femme nue se coiffant (vers 1881, Kreeger Museum de Washington), se rattachent à cette série. Degas essaie de traiter le sujet dans une toile de grand format, à l'instar d'Henri Gervex ou de Gustave Caillebotte. Mais, elle restera à l'état d'esquisse (Femme au tub, 1884-1892, Brooklyn Museum de New York).

<it>Le Tub</it>, E. Degas - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Tub, E. Degas

À partir des années 1880, c'est le pastel, utilisé pur, qui s'impose, notamment lors de la dernière exposition impressionniste de 1886, où Degas présente une « suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s'essuyant, se peignant ou se faisant peigner », dont, en particulier, Femme s'habillant (1885, National Gallery of Art de Washington) et Le Tub (1886, musée d'Orsay). Joris-Karl Huysmans admire alors « la suprême beauté des chairs bleuies ou rosées par l'eau » et Octave Mirbeau la manière dont il sait « dégager [...] d'une forme la pure essence »...

Préalablement étudiées nues conformément à la tradition classique, les danseuses, représentées dans cette exposition par des cires originales et des bronzes posthumes, offrent à l'artiste d'autres modèles, plus jeunes, plus ambigus, plus en mouvement aussi, à cette quête inlassable du corps féminin. Au cours des dernières années, alors que la vue de Degas baisse irrémédiablement, les formats des pastels s'agrandissent, l'expérimentation technique se radicalise, et la sculpture prend une place grandissante dans les études de poses. La prééminence des dos semble montrer que le sujet se dérobe derrière une approche sensuelle plus globale du corps féminin.

— Robert FOHR

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<it>Après le bain, femme s'essuyant la nuque</it>, E. Degas - crédits : Josse/ Leemage/ Corbis/ Getty Images

Après le bain, femme s'essuyant la nuque, E. Degas

<it>Le Tub</it>, E. Degas - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Tub, E. Degas