DÉLIE, Maurice Scève Fiche de lecture
Une poésie de l'insatisfaction amoureuse
La mise en œuvre poétique du recueil relève de plusieurs traditions, héritées de Pétrarque et de ses imitateurs, mais aussi des élégiaques latins, des poètes courtois du Moyen Âge, des rhétoriqueurs du xve siècle et du courant néo-platonicien récemment importé de Florence. À l'instar des poètes de son temps, Scève pratique l'imitation. Mais, comme tous les grands écrivains, il choisit ce qu'il imite et en fait sa chose, de même que l'abeille qui butine le pollen en fait son miel, selon une comparaison courante à l'époque. Si l'auteur de la Délie se souvient de Pétrarque et colore ses emprunts de touches platoniciennes, cela ne révèle pas en lui un adepte de Platon, non plus qu'un suiveur de Pétrarque. À bien le lire, on s'aperçoit même que rien n'est moins platonicien ni désincarné que ce poème de l'insatisfaction amoureuse, et on se tromperait en imaginant qu'il chante le mépris des corps. La jalousie physique n'épargne pas l'amant, et on peut même comprendre qu'il a reçu ce que les troubadours appelaient le don de merci : « Ta coulpe fut, et ma bonne aventure » (dizain 287).
La poésie de Scève est difficile. L'auteur de la Délie reprend sans doute les images et parfois même les mots de Pétrarque, mais il leur imprime sa marque, « soit par le raccourci, la netteté, le réalisme du détail, soit par une fusion plus intime du concret et de l'abstrait » (Henri Weber). Il resserre la syntaxe, fait éclater les sonorités, contrôle et brusque le rythme du vers, et crée des effets de concision saisissants : « Seule raison, de la Nature loy,/ T'a de chascun l'affection acquise » (dizain 23). D'où l'impression de difficulté qui naît de sa lecture, et qui a longtemps nui à sa réputation. En réalité, Scève n'est pas un auteur hermétique. Obscur, il ne le devient que parce qu'il élimine les scories du discours. « Je travaille à être bref, je deviens obscur », écrivait déjà Horace dans son Art poétique (ier siècle av. J.-C.).
Cette poésie qui vise à l'essentiel, qui a la densité et l'éclat du diamant et qui renouvelle la parole poétique, a été accueillie lors de sa parution avec plus de perplexité que d'enthousiasme, et son purgatoire s'est prolongé plusieurs siècles durant. Il a fallu attendre la fin du xixe siècle et l'expérience symboliste (Mallarmé, Valéry) pour qu'elle commence à trouver des lecteurs capables de l'apprécier à sa juste valeur. Aujourd'hui, Scève est placé au nombre des plus grands.
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Écrit par
- Yvonne BELLENGER : professeur émérite à l'université de Reims
Classification
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