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DÉLINQUANCE

Formes contemporaines de la délinquance

L'ampleur prise par les vols et les cambriolages constitue un premier marqueur. Elle semble avoir accompagné – selon des calendriers qui varient naturellement d'après l'histoire de chaque société particulière – l'entrée dans la « consommation de masse » et dans la « société de consommation ». Les valeurs ont alors été réorganisées autour de la disposition de biens semi-durables prestigieux et indispensables à la vie moderne, comme la voiture, les vêtements de marque ou l'électrodomestique. Pour ceux qui avaient du mal à y accéder régulièrement, la pression pour s'en emparer par d'autres voies s'est faite très forte. Les normes de respect du bien d'autrui ont résisté difficilement à la pression impétueuse des valeurs de consommation. L'explosion de cette délinquance a enfin été facilitée par le recul des surveillances privées et publiques traditionnelles. On a mal pris la mesure de l'explosion de la criminalité d'appropriation en raison de sa banalité, et, comme l'a montré David Garland, les autorités publiques ont eu tendance à la minimiser à cause de la difficulté à élucider cette délinquance dont les auteurs restent facilement anonymes. Si cette criminalité d'appropriation s'est finalement stabilisée, c'est à cause de la montée en puissance de nouvelles modalités de sécurité privée qui ont permis à ceux qui en ont les moyens de protéger leur domicile ou leur entreprise contre l'intrusion, voire leur voiture contre l'enlèvement.

À partir des années 1990, l'accent a été mis sur le retour de la violence. Ce qui s'est passé n'est pas très clair. Certes quelques auteurs, tel que Manuel Eisner, ont pointé un sursaut des homicides ; outre que sa trace est vraiment ténue dans plusieurs sociétés, il est en tous cas antérieur aux deux dernières décennies sur lesquelles se concentre l'alarme à l'agression. On assiste plutôt à une forte croissance d'une violence de basse intensité où semblent se mêler deux phénomènes. D'une part, un déplacement de la prédation : quand les domiciles sont mieux protégés contre l'intrusion, quand les espaces commerciaux, sportifs et culturels s'enferment davantage dans des bulles de sécurité, le plus simple pour s'emparer des biens convoités consiste à les prendre de force à l'individu en déplacement dans l'espace public, d'où l'arrachage de téléphone mobile ou le car-jacking. D'autre part, une annexion de cette violence aux démarches de rébellion : ceux qui n'ont pas réussi à s'insérer dans des cursus de socialisation et d'emploi de plus en plus sélectifs tentent de mobiliser le seul capital qui leur reste, la force physique de la jeunesse, pour essayer de se faire entendre et de lutter contre le mépris social qui les environne. En général, les gros appareils policier et judiciaire réagissent très fortement aux grandes agressions – l'homicide, le viol – qui restent rares mais peinent à trouver des réponses adéquates à une violence en miettes qui leur est d'ailleurs peu souvent rapportée.

Ainsi, pour des raisons différentes, les institutions pénales prennent peu en charge la délinquance qui cause des victimes directes – le vol et l'agression –, en revanche elles concentrent de plus en plus leurs efforts sur le contrôle d'une criminalité qui n'a pas nécessairement de victime directe.

Ou bien il s'agit de la disciplinarisation de fonctions collectives : ainsi dans les pays où elles sont fortement pénalisées, les infractions aux règles de la circulation routière génèrent un contentieux tellement massif qu'on recourt pour le traiter à des formules de plus en plus administratives et automatiques.

Ou bien il est question de[...]

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