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DÉLIRE (histoire du concept)

Si profane que soit l'étymologie en matière de psychopathologie moderne, elle n'en conserve pas moins un sens profond en ce qui concerne le délire : le latin delirium, de delirare, c'est proprement « sortir du sillon ». La terre évoque le réel et ses contraintes, le labour énonce le travail efficace et socialisé. S'en écarter, c'est délirer, être fou. Égarement de l'esprit, le délire offre aussi l'acception de rêve, d'enthousiasme, d'exaltation.

Depuis qu'il est des hommes, et qui pensent, il en est qui délirent. L'étonnant résiderait peut-être moins en ce fait qu'en son caractère restrictif. Le délire prête ses traits à cette image de la folie qui hante peu ou prou la littérature de tous les temps, les arts plastiques, aujourd'hui les films, et traduit l'angoisse profonde de l'homme et sa fragile humanité. L'amour, la folie, la mort polarisent les désirs et les peurs.

La notion même de délire s'est progressivement et difficilement dégagée de la métaphysique de l'erreur et de la morale du péché au cours de l'évolution des idées, des mœurs et des sciences. De la phrénitis d'Hippocrate à la schizophrénie de Bleuler, l'histoire de la psychiatrie a porté jusqu'à nos jours, sans l'avoir résolu, le problème essentiel du délire, défini comme objet d'étude scientifique à partir du xixe siècle. La spécificité de la psychiatrie tient pour une grande part à l'originalité des phénomènes délirants, lesquels se posent plus largement comme faits anthropologiques. Personne et personnalité, avec leur système de relation au monde, se trouvent intimement mises en cause. Le fait du délire, objet de scandale pour la raison et pour l'ordre social, engage en réalité les positions doctrinales psychologiques, sociologiques, politiques et philosophiques. Il en sera seulement traité ici du point de vue psychopathologique, très proche de la clinique.

Caractères généraux

Quels que soient la cause, le déterminisme et la structure des délires, certains traits communs les caractérisent, qui spécifient une catégorie de phénomènes dans l'ensemble des troubles psychiques : un homme ne reconnaît plus son entourage, a peur de serpents, s'agite et fuit par la fenêtre au lieu de prendre la porte ; tel autre, calme, digne, parle avec une lenteur condescendante à ses peuples réunis dont il se dit l'empereur et s'affirme également le vicaire du Christ ; tous les deux sont délirants. La personnalité du malade se trouve, dans les deux cas, et dans d'autres encore, altérée dans sa manière d'être et dans sa relation au monde, d'où rupture significative.

L'altération ou la transformation de la manière d'être du malade répond à une façon singulière et subjective de vivre des expériences spontanées ou d'élaborer un ensemble de significations, d'une part sans rapport de concordance avec la situation objective, d'autre part en remplaçant plus ou moins la réalité de celle-ci par un substitut imaginaire. Ce substitut se réfère à la classique « idée délirante », c'est-à-dire à la formulation du thème délirant. Un aliéniste français du xixe siècle (Leuret) écrivit avec raison qu'il n'avait pu trouver de différence entre l'idée la plus folle recueillie dans les asiles et nombre de celles qui ont cours parmi les gens réputés sensés. En effet, l'idée isolée, considérée en elle-même, ne compte guère sans le style de l'expression et surtout sans son rapport significatif avec ce qui est vécu, pensé, compris par le sujet. L'idée n'est point délirante en soi, seul le sujet délire.

On peut être poète, surréaliste, inventeur, anarchiste, humoriste, etc., et ne point délirer. Mais, parfois, une certaine expérience délirante peut fournir[...]

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