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DÉLIRE (histoire du concept)

Les structures délirantes

Parler de structures délirantes ne veut pas dire qu'une espèce de forme sui generis habite ou parasite la personnalité, comme un ver le fruit. Cela signifie que la personnalité elle-même, en particulier le moi, se trouve submergée par une certaine dynamique affective, et elle tend à s'organiser ou à se réorganiser selon une structuration nouvelle, en l'occurrence délirante, à la fois déficiente, reconstructrice et compensatoire.

On doit distinguer ici deux grands types structuraux, dont la différence d'évolution marque le trait clinique le plus apparent, sinon le plus important : les délires aigus et les délires chroniques. Henri Ey en a renouvelé l'étude et affirmé davantage la différence en opposant une « pathologie de la conscience » n'engageant pas la personnalité qui subit les troubles aigus, et une « pathologie de la personnalité », engageant cette dernière dans les délires chroniques ; déstructuration de la conscience dans le premier cas, déstructuration de la personnalité dans le second.

Dans les psychoses délirantes aiguës, le malade subit une sorte d'expérience morbide, vécue dans l'instant, au fur et à mesure de son déroulement et de ses péripéties. Ces « expériences délirantes », comme les a décrites K. Jaspers, comportent surtout de l'angoisse, des phénomènes hallucinatoires, de l'onirisme. La conscience n'est cependant pas troublée au même degré, ni même toujours atteinte, car la structure n'est pas la même dans tous les états aigus.

Par exemple, dans la psychose confuso-onirique, la conscience s'avère plus ou moins profondément atteinte, avec désorientation temporo-spatiale, confusion des idées, hallucinations auditives et visuelles mouvantes, angoissantes, apeurantes, constituant l'onirisme, très analogue à ce qui se passe dans le rêve normal.

Dans la psychose délirante polymorphe, la conscience reste claire. La multiplicité des thèmes délirants, leur incohérence sont notables, ainsi que l'anxiété, la subexcitation.

Les troubles de l'humeur peuvent également donner lieu à des manifestations délirantes. La mélancolie délirante est assez banale, avec sa douleur morale figée dans des thèmes de culpabilité centrifuge, parfois universelle, et ses réactions suicidaires d'autopunition. La manie elle-même peut fournir un délire aux thèmes fuyants, kaléidoscopiques, avec variations colériques, euphoriques, ludiques.

L'évolution spontanée varie, selon les cas, de quelques jours à quelques mois. La durée s'en trouve très réduite par l'action thérapeutique. Mais le passage à la chronicité parfois s'observe ; de plus, ces phases aiguës peuvent survenir au cours de psychoses chroniques. Cela n'a rien de contradictoire et témoigne de la complexité des phénomènes.

Les psychoses délirantes chroniques impliquent une atteinte plus profonde et durable du moi. Le moi, en un certain sens, se défend contre la dislocation et l'anéantissement en effectuant un véritable « travail idéo-affectif » qui aboutit à la construction d'un monde délirant en lequel se transpose l'existence même du malade. Pareille organisation s'affirme assez stable pour constituer la nouvelle historicité de la personnalité, du fait de l'existence d'un passé délirant, d'un remaniement délirant des anciens souvenirs réels (délire rétrospectif) et de projets délirants, dans la mesure où ils peuvent s'établir suivant un élan vers l'avenir. Cette réorganisation de la personnalité et cette reconstitution d'un monde consacrent et perpétuent l'aliénation.

Là encore se différencient les structures délirantes, qu'il serait scientifiquement et pratiquement dangereux de confondre, comme tend à le faire le mouvement psychiatrique anglo-américain. La psychiatrie française[...]

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