DÉLOS, CENT CINQUANTE ANS DE FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES
Article modifié le
Une longue redécouverte
Il fallut donc à Émile Burnouf (1821-1907), directeur de l’École d’Athènes, un certain courage pour engager, au printemps 1873, un programme de fouilles, les premières, dans l’île. Il les confia à Albert Lebègue (1845-1894), qui eut pour mission de rechercher le temple primitif d’Apollon. Le jeune membre explora l’« antre du Dragon », sur les hauteurs du Cynthe, qui domine à 112 mètres ce minuscule territoire (1 km sur 5). Peine perdue. Quatre ans plus tard, Théophile Homolle (1848-1925) mit au jour, en bordure de la zone portuaire, le sanctuaire d’Apollon que son prédécesseur avait cherché trop haut. Ce succès ‒ remporté avec des moyens modestes ‒ en appela d’autres. Dès 1880, les travaux furent engagés dans d’autres secteurs : le quartier du Théâtre, la vallée de l’Inopos, l’agora des Italiens, l’établissement des Poséidoniastes de Bérytos, le Gymnase. Dix ans plus tard, cet élan connut un coup d’arrêt. Toutes les forces de l’École se concentrèrent alors sur le site de Delphes.
La « grande fouille délienne » ne démarra qu’en 1903. Pendant près de dix ans, elle fut supervisée par Maurice Holleaux (1861-1932), directeur de l’École, et bénéficia du soutien d’un mécène franco-américain, le duc Joseph Florimond de Loubat (1831-1927), qui consacra une dotation annuelle de 50 000 francs à cette entreprise. Elle mobilisa jusqu’à 200 ouvriers par jour et révéla dans son étendue le site tel qu’on le visite aujourd’hui : sanctuaires, habitats, magasins et entrepôts. Plus aucune opération comparable ne fut menée après la Première Guerre mondiale, même s’il y eut encore de belles découvertes, y compris au début de la seconde moitié du xxe siècle, avec l’exploration de plusieurs îlots d’habitations dans le quartier au nord-ouest du lac sacré.
L’heure n’est plus désormais aux fouilles extensives, mais à des sondages ponctuels et à l’exploitation des données recueillies par les générations passées. Le bilan des travaux réalisés est considérable : depuis 1909, 46 volumes sont parus dans la collection Exploration archéologique de Délos, 13 dans la « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome ». Sans oublier plusieurs suppléments au Bulletin de correspondance hellénique et de très nombreuses contributions, dont une présentation des mosaïques déliennes par Anne-Marie Guimier-Sorbets (Épitomé, 2022) et une brève histoire de la Délos antique par Véronique Chankowski (ibid., 2024). Le matériel qui s’offre à la curiosité des chercheurs est plus imposant encore. Ils disposent dans un format numérique d’une cartographie complète de l’île et de plans anciens ou récents des vestiges. Les archives déliennes sont riches de 150 000 documents : photographies, dessins, aquarelles, carnets, manuscrits. Dans le respect des principes de la science ouverte, 2 000 d’entre eux sont déjà disponibles en ligne.
Connectivité est l’un des maîtres mots des programmes en cours. Délos, longtemps considérée comme une exception dont l’étude était réservée à quelques happy few, s’inscrit désormais dans une histoire globale de la Méditerranée antique, un monde de réseaux. C’est ce que démontre une enquête, menée par des équipes venues d’horizons différents, sur les entrepôts et lieux de stockage à Rome et en Grèce. L’intelligence artificielle enrichit de même notre savoir. L’exploitation des carnets de fouilles dans le cadre d’un système d’information géographique (SIG) permet ainsi de contextualiser le matériel découvert et de mieux connaître les différentes phases d’occupation de tel ou tel édifice.
Cette dynamique de la recherche contraste avec les inquiétudes que font naître les dégradations provoquées par le tourisme de masse et par le dérèglement climatique. Victime de la montée des eaux, « Délos, selon Véronique[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Hervé DUCHÊNE : professeur émérite d'histoire ancienne, université de Bourgogne, Dijon
Classification
Média