DELPHES
Pour les Grecs, Delphes était le centre géographique du monde : les deux aigles dépêchés par Zeus depuis les bords du disque terrestre s'y étaient rejoints. Aussi le nombril ( omphalos) terrestre y était-il représenté dans la fosse oraculaire ( adyton) du temple sous la forme d'une masse ogivale, couverte d'un réseau de laine (agrènon) et surmontée de deux aigles d'or. C'était aussi, dans la trame divine du monde grec, un nœud religieux sans égal : dans l'adyton du temple voisinaient la tombe de Dionysos et le trépied sur lequel la Pythie, prophétesse d' Apollon, signifiait aux mortels les conseils éclairants du dieu. Durant plus d'un millénaire, de la fin du viiie siècle avant J.-C. au ive siècle après J.-C., le sanctuaire d'Apollon Pythien fut ainsi le siège de l' oracle le plus prestigieux. L'abondance des textes littéraires et épigraphiques qui le concernent, l'importance des découvertes archéologiques faites depuis un siècle sur le site attestent le rôle éminent dans la civilisation grecque d'un sanctuaire devenu le témoin privilégié de la grandeur et des faiblesses de celle-ci.
Histoire et archéologie
Le site
Delphes est accroché au flanc abrupt des contreforts méridionaux du Parnasse, qui domine la Grèce centrale de ses 2 459 mètres d'altitude. Surplombé par de hautes falaises rougeoyantes, les Phédriades (Rhodini, la « Rose », au nord et Phlemboucos, la « Flamboyante », à l'est, séparées par une gorge au pied de laquelle jaillit la source Castalie), le site domine la vallée encaissée du Pleistos, qui débouche sur une plaine côtière couverte d'oliviers – domaine d'Apollon périodiquement convoité par les montagnards de Locride et de Phocide. Invisible de la mer pourtant toute proche (18 km par la route), Delphes est un site de montagne (le dallage du temple est à 573 m d'altitude) au climat très contrasté : l'hiver y est assez rude, avec des gelées et des chutes de neige fréquentes ; l'été torride, car les falaises réfléchissent lumière et chaleur. L'aspect de plus en plus sylvestre du paysage est trompeur ; les plantations de pins et de lauriers postérieures à la fouille ont considérablement atténué son âpreté : entre les vallées couvertes d'oliviers et les falaises de calcaire flamboyantes, l'épaulement où se situe Delphes n'a jamais dû porter beaucoup d'arbres, d'autant que les chutes de rochers détachés par les pluies ou les tremblements de terre le ravagent périodiquement. Les éboulements qui ont atteint le sanctuaire d'Athèna Pronaia (Marmaria) en 1905 et la partie nord-est du sanctuaire d'Apollon en 1932 ne sont que de faibles répétitions de la catastrophe de 373 avant J.-C. qui dévasta le site ; selon la chronique locale, ce sont également des éboulements de pierre providentiels qui empêchèrent les Perses en 480, les Gaulois en 279 avant J.-C. d'atteindre le sanctuaire d'Apollon, dont ils s'apprêtaient à piller les trésors.
Ce lieu farouche élu par Apollon n'était pourtant pas solitaire : à partir du vie siècle au plus tard, ce fut aussi le site d'une petite ville vivant du sanctuaire comme le fait aujourd'hui du tourisme le village moderne ; les vestiges de ses fortifications (muraille dite de Philomèlos, à l'est du stade ; tour à l'ouest, sur la route d'Athènes) et des tombes en déterminent précisément l'extension, sauf au sud. À l'intérieur de ce périmètre, surtout dans la zone comprise entre le sanctuaire d'Apollon, le musée et le stade, mais aussi contre le côté est du sanctuaire, des maisons d'époque impériale tardive ont été dégagées. En dépit de leur aspect actuel, les sanctuaires d'Athèna Pronaia et d'Apollon étaient donc des sanctuaires urbains entourés de maisons, ce qui explique[...]
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Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
- Giulia SISSA : chercheur au C.N.R.S.
Classification
Médias
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