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DEMAIN JE MEURS (C. Prigent) Fiche de lecture

Poète et directeur de revue, Christian Prigent poursuit une œuvre à l'écart des diktats du littérairement correct. Il explore les possibles de la langue, tente de donner forme à la facticité de la vie moderne en traçant des lignes de fuite et en offrant des plongées dans des devenirs de papier. Tous ses ouvrages en prose, et notamment Demain je meurs (2007), n'ont donc rien à voir avec le formatage d'une littérature qui investit dans les valeurs réalistes et recycle les formes les plus convenues.

Christian Prigent est un créateur d'objets intempestifs, prototypes d'un autre « art de raconter » pour reprendre une expression chère à l'écrivain argentin Juan José Saer. Il est aussi un de ces Bretons dont on dit qu'ils ont la tête dure. Lui l'a aussi bien faite. Le poète, chez lui, se double toujours d'un critique littéraire lucide qui a donné des pages admirables sur ses auteurs de prédilection et sur les liens qui existent entre une certaine tradition, de François Rabelais à Alfred Jarry, et la question du moderne. Car Christian Prigent est apparu dans les lettres, au lendemain de 1968, avec la revue TXT, titre explosif qui rassemblait une avant-garde qui ne s'est jamais tue qui comptait Jean-Pierre Verheggen, Valère Novarina parmi ses représentants, et qui est restée fidèle à l'idée de texte, d'écriture et de critique des idéologies.

Demain je meurs succède à Grand-mère Quéquette (2003) qui se présentait comme « roman » et à Une phrase pour ma mère (1996), sous-titré « lamento-bouffe ». Ces trois livres pourraient relever du détournement d'un projet autobiographique. Demain je meurs, en effet, gravite autour de l'image du père de l'écrivain, Édouard Prigent, brillant agrégé de lettres classiques et membre actif du Parti communiste des Côtes-du-Nord. Reste que le livre, passant de l'hallucination biographique à la voyance poétique, apparaît comme un objet « non identifiable ». Christian Prigent livre une « composition en prose », expression de Jacques Roubaud qui pourrait qualifier cette œuvre, capable de mêler tous les registres dans une indifférenciation miraculeuse et carnavalesque qui marque certains grands moments de la littérature française.

Non, décidément, la vie n'est pas un roman bien qu'on tente de nous le faire accroire aujourd'hui. C'est là le travail de Christian Prigent. Comment écrire son père ? Par l'évocation du disparu, le retour à la sainte famille ? Prigent choisit de construire son livre sur le fil d'un rasoir. Sommé par sa mère de rendre visite à son père à l'hôpital où il est soigné pour un cancer, le jeune narrateur enfourche à contrecœur son vélo. « En route, mauvaise troupe », le livre sera le récit de cet itinéraire. Vingt minutes pendant lesquelles l'évocation d'une enfance, la vie et la mort du père vont surgir d'un amas de perceptions, de souvenirs, d'associations. Dans une oscillation continue entre la chambre du fils et celle qui lui semble interdite, la célébration de la vie et la terreur d'entendre dire la mort, la chambre mère où se déroule l'écriture et le « soleil des morts ». Si la mort rôde dans ce livre, Christian Prigent a su trouver un angle pour la donner à lire. C'est l'anamorphose d'une époque, d'une vie qui ne se veut pas rédemptrice, mais qui bien au contraire manifeste constamment un affrontement au monde et à la camarde qui s'insinue dans tous les temps morts de la vie, qui la ronge dans les non-dits, les renoncements, les remords.

Souvent ici « mieulx est de ris que de larmes escrire », avec la peinture héroïco-comique des protagonistes de cette famille. Grand-mère Quéquette y gère toujours « la nichée », mais laisse la vedette aux tantes folkloriques du narrateur qui construisent leurs orients en Bretagne,[...]

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