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DÉMATÉRIALISATION DE L'ŒUVRE D'ART

L'œuvre d'art est traditionnellement conçue comme l'incarnation d'une forme ou d'une idée dans une matière. Ou, plus précisément, dans un matériau, plus ou moins dense ou pesant, et doté de propriétés spécifiques – comme le bois, le marbre, la pierre ou les pigments de la peinture. Dès le départ, cependant, l'art se trouve marqué du sceau de la dématérialisation. Une œuvre d'art n'existe, pour Platon (ve siècle av. J.-C.), que dans la mesure où elle participe de l'Idée du Beau. Son essence profonde est, en conséquence, de nature conceptuelle, « abstraite ». Et métaphysique.

Au xixe siècle, Hegel introduit directement un principe de « dématérialisation » au cœur du processus artistique. L'art ne cesse, selon lui, et ce tout au long des siècles, de s'affiner et de s'alléger. Il se dématérialise et se spiritualise. On passe de la pesanteur de l'architecture égyptienne au grand classicisme de la statue grecque, dont les formes s'allègent, en se dégageant nettement du bloc de pierre ou du bronze. La peinture – chrétienne et romantique – ne présente plus que les seules apparences du monde sensible. Musique et poésie permettent ensuite à l'esprit de se dégager encore du matériau, la philosophie fournissant enfin l'occasion d'un affranchissement total de la matière.

Cette problématique classique, qui envisage la dématérialisation de l'art sur le mode ou bien d'une idéalisation et d'une conceptualisation (Platon), ou bien d'une spiritualisation (Hegel), va connaître, à partir du xxe siècle, des rebondissements étonnants. En effet, marqué par une surenchère dans l'utilisation de matériaux de plus en plus divers, l'art du xxe siècle s'est également tourné vers un processus de dématérialisation de plus en plus prononcé. De l'art abstrait (« inventé » par Wassily Kandinsky en 1910) aux images de synthèse, en passant par l'œuvre d'Yves Klein, par l'art minimal, l'art conceptuel et par Les Immatériaux, titre d'une exposition organisée par le philosophe Jean-François Lyotard au Centre George-Pompidou en 1985, l'art n'a de cesse de s'affiner, de s'amenuiser, réduisant à presque rien, et souvent aux dimensions d'un ectoplasme flottant et lumineux, sa dimension matérielle. Ces changements sont, pour une part, dépendants de la manière dont la science moderne envisage la notion même de matière. Celle-ci n'est plus le support ou substrat matériel de la science antique. La matière est désormais envisagée comme énergie. Elle tend elle-même à une forme de « dématérialisation » et devient de plus en plus complexe.

L'immatériel, le conceptuel, le virtuel

On assiste, dans la seconde moitié du xxe siècle, au développement d'un art qui tend à se passer le plus possible de matière, voire à s'en affranchir totalement. À la fin des années 1950, Yves Klein se fait le chantre de l'immatériel. Toiles monochromes (à partir de 1955), exposition « du vide » (1960), cession de Zones de sensibilité picturale immatérielle ou projet (avec Claude Parent) d'une « architecture de l'air » (1962) : Klein multiplie les performances et les propositions visant à spiritualiser et dématérialiser l'ensemble du processus plastique.

Au cours des années 1960-1970, dans le sillage de l'art minimal et de l'art conceptuel qui se développent notamment aux États-Unis, bien des artistes rivalisent dans ce processus d'amaigrissement de la matière. Il s'agit, comme le précise dans les années 1970 Bruce Nauman, de « diminuer l'importance de la chose à regarder ». Pour les tenants ou les proches de l'art conceptuel et du mouvement Art&Language, c'est l'idée qui compte. Joseph Kosuth (né en 1945)[...]

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