DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE
L'impact sur l'histoire
Depuis le début du xxe siècle, certains historiens s'efforçaient d'introduire les mathématiques dans l'objet de leurs études. Sans prétendre faire de l'histoire une science exacte, ils s'attachaient à tout ce qui est mesurable (production, prix, etc.) et cherchaient à relier ces paramètres par des équations, à l'imitation de ce qui se fait en économie politique. Toutefois, ils n'avaient jamais réussi à construire de modèles, faute de pouvoir en contrôler toutes les entrées : beaucoup de facteurs, dont aucun n'est négligeable, leur échappaient fatalement.
La démographie, au contraire, réduit l'étude à quelques grandeurs mesurables : nombre des hommes, âges, répartitions, intervalles. Pour elle, une population est un stock, avec un flux d'entrée (la natalité) et un flux de sortie (la mortalité). Sans doute, la natalité est-elle réglée, dans toutes les civilisations, par le phénomène social du mariage, mais celui-ci peut être analysé quantitativement, indépendamment de ses autres aspects. Ainsi, connaissant la structure par âges d'une population, ses lois de mortalité, de nuptialité et de fécondité, on peut prédire son avenir avec une certitude mathématique, à condition que cette population soit fermée (sans migrations) et stable (mortalité et natalité immuables).
L' histoire sociale a été la première bénéficiaire du développement de la démographie historique : avec celle-ci, les classes populaires, qui n'avaient été étudiées que de manière très « impressionniste » et très abstraite, sont entrées dans l'histoire. Atteignant chaque groupe en proportion de son importance numérique, grâce au dépouillement des registres d'état civil, la démographie historique a donné enfin une image représentative de la société française, alors que les autres sources de l'histoire sociale privilégiaient les élites et quelques groupes spécifiques. On a ainsi découvert que les paysans français se mariaient tardivement, du moins au xviie et au xviiie siècle, que l'intervalle entre naissances dépassait généralement deux ans ; que les naissances illégitimes étaient exceptionnelles ; que les mariages ne produisaient que quatre ou cinq enfants en moyenne. Peu à peu sont apparus les rouages d'un système démographique autorégulateur, fondé sur le mariage tardif plutôt que sur le contrôle des naissances ; ce système permettait à la population de combler ses pertes après toutes les grandes mortalités, sans dépasser un certain niveau, qui était lui-même fonction de l'organisation de la propriété et du travail plutôt que des possibilités techniques proprement dites.
On cherche également à étendre la méthode de reconstitution des familles à toutes les sources de l'histoire sociale : rôles d'imposition, terriers, minutes notariales, archives judiciaires sont mis à contribution pour enrichir les fiches de famille. De cette étude « au microscope », on peut attendre un renouvellement complet de l'histoire sociale.
D'autre part, sous l'impulsion de P. Laslett (Cambridge), l'intérêt s'est porté sur la structure des familles. On a d'abord démontré qu'en Europe occidentale, depuis le xvie siècle au moins, la forme dominante était la famille nucléaire, mais de nombreuses exceptions sont apparues, en particulier dans les montagnes de l'Europe du Sud ; il importe maintenant de connaître l'étendue de ces exceptions et d'en dégager la signification.
Enfin, la démographie historique, en permettant de mesurer certains types de comportements, a contribué à revigorer l'histoire des mentalités et à lui donner des bases solides. Par exemple, grâce à l'étude du mouvement mensuel des mariages pendant la Révolution, on peut savoir si les fidèles ont spontanément[...]
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Écrit par
- Jacques DUPÂQUIER : professeur agrégé d'histoire et géographie, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Paul-André ROSENTAL : professeur des Universités, Sciences Po, Paris
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