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DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE

Vers une histoire sociale et politique des populations

Autour des années 1980, la démographie historique connaît à la fois un point d'aboutissement et une métamorphose. En 1975 en France, en 1981 au Royaume-Uni, sont publiées les conclusions de deux grandes enquêtes nationales sur l'évolution pluriséculaire de la population qui dépassent l'échelle, privilégiée jusque-là, des monographies locales. En 1988 paraît la première grande Histoire de la population française depuis celle de Levasseur un siècle plus tôt : dirigée par Jacques Dupâquier, elle synthétise l'ensemble des résultats accumulés depuis l'après-guerre.

Au même moment, l'historiographie remet en cause le primat donné à l'histoire quantitative durant les Trente Glorieuses aux dépens, affirme-t-elle, du contexte et de la narration. En réaction, non sans lien avec la réception des travaux de Michel Foucault, les démographes historiens, à l'image d'un ouvrage collectif dirigé par Alain Bideau, Patrice Bourdelais et Jacques Légaré (2000) sur L'Usage des seuils dans l'analyse des âges de la vie, s'interrogent sur la construction des catégories sous-jacentes à leurs sources ou à leurs méthodes. Ils explorent les racines du modèle démographique de Louis Henry, inspiré pour partie de la conception biologisante de la population qui prévalait dans l'entre-deux-guerres.

Après une décennie critique voire autocritique, la spécialité, depuis le milieu des années 1990, a retrouvé des directions qui, tout en conservant l'héritage méthodologique de la démographie historique, élargissent son programme à celui d'une histoire sociale et politique des populations. Deux grands axes la structurent. Le premier consiste à combiner histoire des sciences sociales et production d'un savoir « positif » sur les populations du passé. Le modèle en est donné par l'historien britannique Simon Szreter qui, par une histoire de la notion de transition démographique élaborée en Angleterre à partir des années 1910, réinterprète toute l'histoire de la baisse de la fécondité au Royaume-Uni au xxe siècle. De même, Patrice Bourdelais, sur le vieillissement de la population, Éric Brian, sur la régularité des rapports statistiques entre filles et garçons à la naissance, mêlent histoire des populations, histoire des savoirs et histoire de la statistique.

Le second axe de recherche appréhende la population comme un objet stratégique pour penser comment la société, continûment, se construit et se régule. Depuis le xvie siècle, dans beaucoup de pays d'Europe, la protection sociale, d'abord locale puis nationale, repose en théorie sur des critères formels d'attribution de droits, mais en pratique sur une gestion plus ou moins individualisée des dossiers. Il en résulte un jeu de manipulations réciproques entre populations et institutions, dont l'issue se répercute tant sur les comportements démographiques des premières, que sur l'organisation des secondes. Dans les années 1960, l'étude de la dynamique démographique d'un village se réduisait à en mesurer la fécondité, la mortalité et le solde migratoire. Désormais, elle implique de comprendre les rapports de force entre les gestionnaires des institutions sociales locales, la population des « contribuables », et la masse des pauvres qui, selon la qualité de l'assistance qui leur est prodiguée, connaissent une mortalité plus ou moins forte, et sont plus ou moins prompts à émigrer. Cette approche illustre la distinction entre une conception « biologisante » de la population et une lecture insistant sur les dynamiques politiques, sociales et institutionnelles qui la façonnent, et dont elle est elle-même partie prenante.

— Paul-André ROSENTAL

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Écrit par

  • : professeur agrégé d'histoire et géographie, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : professeur des Universités, Sciences Po, Paris

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