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DÉMONOLOGIE

La démonologie des nomades asiatiques

Dans la religion des peuples de l'Asie centrale et de la Sibérie, le chamanisme, qui survit encore au xxe siècle, a joué, depuis la préhistoire, un rôle fondamental. La démonologie des peuples chasseurs diffère de celle des peuples pasteurs. Les phénomènes de transe extatique sont provoqués volontairement par le chaman afin d'unir « son corps et son sang » aux « esprits » évoqués. Ils ont pour but d'opérer une fusion extatique avec eux afin de guider les individus et les clans, grâce à une « mission d'information » dont le possédé apparaît comme le support et l'instrument.

Il s'agit ici d'une communication effectuée délibérément et non pas, comme on pourrait le supposer, d'un état passif de médiumnité. Le chaman est un professionnel de la possession. Il en prend l'initiative, à l'heure et au lieu qu'il choisit. Son tambour magique bat le rappel des « esprits informateurs » qu'il absorbe successivement par diverses parties de son corps : le sinciput, la bouche, l'aisselle, l'anus, avant de les « loger » dans un lieu déterminé, par exemple le kiäli yakoute, une poche invisible, située dans la cavité abdominale, où les « influences errantes » ne peuvent plus léser l'organisme. En d'autres termes, les démons sont assimilés par le chaman au gibier que poursuit et mange le chasseur. En Alaska et au Groenland, ces cérémonies chamaniques ressemblent à des évocations infernales, s'il faut en croire la description, par Holm, d'une séance à laquelle il assista lors de son hivernage, en 1883-1884, à Angmagssalik :

« Il se produisit un bruit et un tumulte désordonnés : bruits raclants, coupants, claquants, tantôt comme d'un établi, tantôt comme d'une locomotive, puis comme d'êtres volants. En accompagnement de ce terrifiant vacarme, la plate-forme et le cadre de la fenêtre se mirent à craquer. On entendait parfois le chaman, à la merci de quelque force supérieure, grogner, gémir, jeter un cri perçant, se lamenter, chuchoter ; en d'autres instants, on entendait les voix des esprits [...] nous perçûmes souvent un rire démoniaque, crissant et moqueur [...] Enfin, après un chahut étourdissant, tout devint subitement tranquille, et le terrible monstre Amôrtok entra. Il a des bras noirs, et celui qu'il touche devient noir et meurt. Il entra à pas lourds, monta sur la plate-forme et grogna : a-mô ! a-mô ! Chacun se sauva dans les coins de la plate-forme, de crainte que le monstre pût le toucher. »

Ce témoignage, cité par Birket-Smith, directeur du Musée national de Copenhague, mérite, quelle que soit l'opinion que l'on se forme sur l'origine de ces phénomènes, de retenir l'attention, car il peut être comparé à d'autres expériences analogues, en des lieux fort différents et à des époques diverses. Les monstres des Bon-Po du Tibet, par exemple, comme ceux de l'Alaska, sont des survivances d'un fonds religieux archaïque de l'Asie centrale et septentrionale où le chamanisme n'a cessé d'être pratiqué depuis la préhistoire et où il a constitué une tératologie mystico-magique trouble et sinistre dont la réalité, au moins psychologique, a exercé d'importantes influences sur la mentalité des populations nomades. Dans beaucoup de cas, les génies et démons locaux furent « convertis » par des religions plus récentes et transformés en de terrifiants défenseurs de la nouvelle foi. Ce processus d'assimilation n'alla pas sans quelques erreurs. Ainsi, au Groenland, le Tornârssouk fut considéré par les premiers missionnaires comme la divinité la plus élevée des Esquimaux. Il s'agissait, en fait, d'un « esprit de la mer », attaché magiquement au chaman, et qui l'aidait dans ses recherches extatiques auprès de la «[...]

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Écrit par

  • : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil

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