DÉMONSTRATION (notions de base)
Les logiques du possible
Au cours des deux derniers siècles, de nouvelles logiques très sophistiquées ont vu le jour, qui reposent non plus sur des énoncés mais sur des ensembles, des tables de vérité, etc. Présentées comme les Éléments d’Euclide sous forme « axiomatique » (hypothèses initiales suivies d’une suite de propositions démontrées), elles rendent problématique la différence qui existait jusqu’alors entre logique et mathématique. Cette évolution a fait dire au philosophe et mathématicien Bertrand Russell (1872-1970) que « la logique est devenue plus mathématique et que les mathématiques sont devenues plus logiques [...] En fait les deux ne font qu’un. Elles diffèrent comme un enfant diffère d’un homme ; la logique est la jeunesse des mathématiques comme les mathématiques sont la virilité de la logique ».
Un moment privilégié fut la tentative de certains géomètres de la fin du xixe siècle de démontrer par l’absurde le cinquième postulat d’Euclide, selon lequel, « par un point en dehors d’une droite ne peut passer qu’une seule parallèle à cette droite ».
On a recours à une démonstration par l’absurde quand il s’avère impossible de démontrer directement une proposition. On suppose alors le point de départ valide, et on en tire des conséquences jusqu’à ce qu’on débouche sur une proposition absurde qui suffit à démontrer l’inexactitude de la proposition initiale. Pour procéder ainsi, deux mathématiciens, Nicolaï Ivanovitch Lobatchevski (1792-1856) et Bernhard Riemann (1826-1866) partirent d’axiomes différents de celui d’Euclide. Lobatchevski partit de l’axiome selon lequel par un point en dehors d’une droite on peut tracer une infinité de parallèles à cette droite. Riemann, quant à lui, partit de l’axiome selon lequel par un point en dehors d’une droite on ne peut tracer aucune parallèle à cette droite. Mais en tirant toutes les conséquences de ces axiomes, ils ne parvinrent à aucun moment à une contradiction. Tous deux venaient d’inventer ce qu’on appellera les « géométries non euclidiennes », la géométrie des espaces à courbure négative pour Lobatchevski, la géométrie des espaces à courbure positive pour Riemann.
Ces géométries non euclidiennes ont trouvé des applications précieuses, notamment en astrophysique. Elles dramatisent davantage encore une interrogation qui ne trouve aucune réponse satisfaisante et à laquelle Albert Einstein a donné sa formulation définitive : « Ce qui est incompréhensible, c’est que l’univers soit compréhensible. » Comment les mathématiques, et en particulier les géométries, pures inventions de l’esprit humain qui imagine des axiomes arbitraires et en développe les conséquences, peuvent-elles nous aider à comprendre une nature dont nous ne sommes pas les créateurs ?
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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