DÉMOSTHÈNE (384-322 av. J.-C.)
Démosthène, en qui l'on s'accorde à reconnaître le plus grand orateur de l'Antiquité, n'a aucunement recherché cette gloire : nul n'a eu moins que lui le souci de l'art pour l'art ; l'éloquence n'était à ses yeux qu'un moyen d'action au service d'une politique, à laquelle il a consacré sa vie et pour laquelle il est mort. Contemporain de la conquête de la Grèce par le roi de Macédoine, il a lutté de toutes ses forces pour défendre la liberté de son pays. C'est ce combat désespéré qui a inspiré son génie, au point qu'il semble s'identifier à la résistance hellénique : son premier chef-d'œuvre est aussi le premier discours qu'il prononce contre Philippe de Macédoine, et sa mort volontaire suit l'anéantissement de l'indépendance grecque.
Il n'eut pas trop de toute son éloquence pour gagner à ses vues les Athéniens du ive siècle, les arracher aux illusions de facilité entretenues par des orateurs plus soucieux de leur popularité que de l'intérêt de la Grèce, secouer l'insouciance, l'apathie de tout un peuple, déjà inconsciemment résigné à la servitude. Avant d'organiser la guerre contre la Macédoine, c'est contre cet esprit de démission qu'il livra un incessant combat.
Le combattant
Années d'apprentissage
La fortune avait en quelque sorte préparé Démosthène à affronter difficultés et déceptions. Orphelin ruiné par des tuteurs malhonnêtes, c'est pour plaider contre eux qu'il doit, à dix-huit ans, apprendre l'art de la parole ; n'ayant pu, bien qu'il ait gagné son procès, recouvrer ses biens dilapidés, pour gagner sa vie il se fait logographe. Rien n'annonce alors ce qu'il sera un jour, sinon cette énergie tenace que rien ne décourage. Par la lecture des poètes, la méditation de l'historien Thucydide, il enrichit sa pensée ; à force de volonté, s'il faut en croire les anecdotes qui le montrent luttant contre des difficultés d'élocution, il se met en mesure de haranguer les foules. Mais, lorsque, à trente ans (354), il prend pour la première fois la parole à l'Assemblée, il n'est encore qu'un orateur au souffle court, dont l'éloquence n'a rien de commun avec celle qui, en 351, éclate brusquement dans la Première Philippique.
Au cœur du combat
Il a devant lui une Grèce divisée, affaiblie par les luttes qui ont opposé dans le passé les cités les unes aux autres, et les ont laissées plus méfiantes à l'égard du voisin grec que de l'étranger. Nul ne s'inquiète des conquêtes successives de Philippe de Macédoine, qui menace les positions d'Athènes dans les Détroits, tandis qu'il s'assure des alliés en Grèce même en écrasant ceux qui lui résistent. En face de ces menaces, Athènes semble frappée de léthargie : l'égoïsme des possédants qui se refusent à payer l'impôt, et du peuple qui ne songe qu'à jouir gratuitement des spectacles, laisse la flotte en piteux état, tandis que la répugnance de tous à servir dans l'armée réduit celle-ci à des troupes de mercenaires mal payées.
Démosthène fait front et propose, longtemps en vain, des mesures concrètes : dans la Première Philippique, il demande la réorganisation de l'armée ; dans les Olynthiennes (349), il pousse les Athéniens à secourir Olynthe assiégée par Philippe ; dans le discours Sur les affaires de Chersonèseet la Troisième Philippique (341), il réclame des mesures pour faire face à la guerre imminente. En même temps, il s'en prend à ceux qui, par défaitisme, aveuglement ou vénalité, se font les alliés de Philippe : il échoue – de peu, il est vrai – dans le procès de corruption qu'il engage contre Eschine (Sur l'ambassade, 343), mais il reprend dans ses harangues ses accusations[...]
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Écrit par
- Gilberte RONNET : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Reims
Classification
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