DÉMOSTHÈNE (384-322 av. J.-C.)
Ses idées-forces : l'amour d'Athènes et de la liberté
Au cœur de la vie et de l'œuvre de Démosthène, il y a l'amour passionné d'Athènes, non pas de la cité qu'il a sous les yeux, et dont il voit avec lucidité les faiblesses et les tares, mais d'une Athènes idéale, hors du temps, telle que celle des ancêtres, une cité d'hommes libres, capable d'affronter tous les risques plutôt que de subir la servitude. Son amour de la liberté s'exalte au souvenir des grandes heures des guerres médiques, quand les Athéniens préféraient abandonner leur ville et s'embarquer sur leurs trières plutôt que d'accepter la domination des Perses : pour les États comme pour les individus, il n'est pire mal que l'esclavage.
La mission d'Athènes
Grâce à leur courage, à leur abnégation, les Athéniens du passé ont sauvé la Grèce : voilà le rôle que Démosthène voudrait faire jouer à ses contemporains. Mettre sa force au service du droit et de la liberté, c'est le devoir d'une cité puissante, c'est ce que fit Athènes autrefois. Démosthène oublie – ou ne rappelle qu'avec discrétion – les excès de son impérialisme, et la catastrophe à laquelle aboutit sa volonté de puissance. Il ne retient que la radieuse vision du temps où elle conduisait la lutte contre les Barbares. Ce n'est d'ailleurs pas pour en tirer une vaine gloriole, mais pour en dégager une très haute leçon : les fils doivent être dignes de leurs pères, une cité glorieuse n'a pas le droit de démériter. Être au service des plus faibles, leur montrer l'exemple et les défendre, tel est le « privilège » que les ancêtres ont légué à leurs descendants.
Le panhellénisme
Il serait donc injuste de voir dans le patriotisme de Démosthène un particularisme étroit qui, limitant ses vues à la petite patrie athénienne, le rendrait aveugle à l'intérêt général de la Grèce ; la grandeur d'Athènes, telle qu'il la conçoit, n'existe que dans le cadre d'une politique panhellénique. Tout au long de sa carrière, Démosthène presse ses compatriotes de répondre aux appels au secours qui leur sont adressés, même s'ils viennent de cités dont Athènes avait à se plaindre : c'était le cas d'Olynthe, ce fut aussi celui de Byzance, ancienne alliée séparée d'Athènes depuis la guerre sociale (357), et que l'intervention athénienne sauva en 340. Certes, cette politique est pour une bonne part inspirée par le souci de l'intérêt propre d'Athènes : Démosthène redoute par-dessus tout que les Athéniens n'aient un jour à livrer bataille sur leur propre sol ; s'ils combattent au loin, le territoire des cités défendues sert en quelque sorte de glacis à Athènes. Mais il est indéniable aussi que – dans ses harangues de 341 tout au moins, et spécialement dans la Troisième Philippique – l'orateur pense et s'exprime autant en Grec qu'en Athénien : il souffre des torts subis par les autres cités, il s'indigne du cloisonnement de la Grèce en petits États incapables de s'unir.
Unir les Grecs contre l'envahisseur, telle fut l'ambition de Démosthène. Un tel rêve était-il réalisable ? Une seule fois dans l'histoire de la Grèce, cette union avait été effective, contre les Perses (encore Thèbes s'était-elle rangée aux côtés de l'ennemi). Depuis lors, les Grecs n'avaient jamais pu s'unir, partiellement, que sous ou contre l'hégémonie d'une cité puissante, Athènes au ve siècle, Sparte, puis Thèbes au ive. Au milieu du ive, les souvenirs des luttes passées empoisonnent l'atmosphère : l'alliance d'Athènes avec Sparte, que Démosthène déplore discrètement, voue à l'échec les efforts pour tourner contre Philippe les peuples du Péloponnèse, qui attendent de lui un appui[...]
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Écrit par
- Gilberte RONNET : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Reims
Classification
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