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DÉMOSTHÈNE (384-322 av. J.-C.)

Ses armes

Au service de ces idées, Démosthène use de toutes les ressources d'un art que les orateurs précédents avaient développé et qu'il porte à sa perfection.

L'action oratoire

Un aspect de son éloquence nous échappe : cet art du geste, cette ardeur passionnée dont Eschine, devenu maître de rhétorique, porte témoignage, lui qui, après l'avoir raillée du vivant de son adversaire, lui rendait hommage en disant, après avoir lu à ses élèves admiratifs le Discours sur la couronne : « Que serait-ce si vous aviez entendu le monstre lui-même ! » Selon une anecdote transmise par Cicéron, Démosthène aurait considéré l'« action » comme l'essentiel de l'éloquence. Il ne dédaignait pas pourtant, du moins tant qu'il fut un orateur d'opposition, de publier ses discours, c'est-à-dire de prolonger par l'écrit l'effet de sa parole. C'est la trace de sa fougue qui donne à son style son allure inimitable.

Le style

La variété, la couleur, le mouvement, tels sont les traits qui le distinguent entre tous les autres. Sa phrase prend toutes les formes, depuis la succession de simples propositions indépendantes jusqu'aux périodes les plus complexes, du raccourci de trois mots à l'ensemble d'une page. Ces formes diverses se font valoir par le contraste ; mais dans la période la plus savante, un détail – parenthèse, aposiopèse – vient presque toujours donner l'impression de l'improvisation, du naturel.

Les images sont relativement nombreuses, si l'on pense que pour les Grecs l'image est le propre de la poésie, non de la prose. Familières le plus souvent, empruntées à la langue de la guerre, de la chasse et de la vie quotidienne, elles s'élèvent parfois à la grande poésie dans le Discours sur la couronne, où l'invasion macédonienne est comparée à une tempête qui a tout emporté.

Cette phrase variée et colorée est animée par toutes les formes de ce que les rhéteurs ont appelé « figures de pensée » : questions, apostrophes, dialogues supposés, entraînent l'auditeur dans un mouvement qui ne lui laisse aucun répit. La combinaison de ces divers éléments permet tant d'effets différents que chaque discours a son caractère propre : on ne peut établir une « formule » unique du style de Démosthène.

Pourtant ce style se reconnaît entre tous. Il a un ton qui lui est particulier, mélange d'ironie railleuse ou amère, de sarcasme méprisant, et d'enthousiasme passionné. Les rhéteurs qui cataloguaient les qualités du style lui reprochaient de manquer d'enjouement ; mais ce manque précisément est caractéristique : la plaisanterie gratuite serait une fausse note dans une œuvre tout entière tendue par la passion.

Telles furent, intimement confondues, la vie, l'action, l'œuvre de Démosthène. Par un curieux paradoxe, ce lutteur infatigable, ce passionné de la gloire d'Athènes, n'aspirait au fond qu'à la paix. Toute sa politique est résolument défensive, alors que son contemporain Isocrate, qui rêvait lui aussi d'unir les Grecs, mais sous le commandement d'un chef qu'il trouvait précisément en Philippe, ne cesse dans toute son œuvre de pousser à la guerre offensive contre la Perse. Au bellicisme des rhéteurs (que les conquêtes d'Alexandre allaient transposer dans la réalité), Démosthène oppose la politique d'un homme épris de liberté, pour qui la guerre n'est pas une fin, mais peut être une nécessité. Sur le plan de l'événement, il a perdu la partie. Eut-il tort de la jouer ? Lui-même a répondu, dans le Discours sur la couronne, en exposant sa philosophie de l'histoire : aux hommes il appartient de choisir leur voie, le résultat dépend des dieux, ou du sort ; l'honneur de l'homme n'est donc pas dans le succès, mais dans le choix même. Vision du monde qui rejoint[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Reims

Classification

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