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RICHET DENIS (1927-1989)

Parmi les historiens de sa génération, celle qui, dans le sillage de Fernand Braudel et d'Ernest Labrousse, a assuré la réputation de l'école historique française, Denis Richet tenait une place originale. Il a été, d'abord, un magnifique éveilleur de vocations. À la Sorbonne, puis à l'université de Tours, enfin à l'École des hautes études en sciences sociales (où il avait été appelé en 1968 par Fernand Braudel), ses enseignements ont appris à beaucoup le métier d'historien, un métier qui, pour lui, était fait de rigueur dans la démarche de recherche et de liberté critique dans l'effort de compréhension. Appuyés sur une profonde connaissance des historiens français du xixe siècle (Tocqueville, Guizot, Michelet), nourris de la lecture de Marx, de Malthus et des « primitifs de la pensée économique » (selon l'expression de Pierre Vilar), informés des recherches les plus récentes, ses cours et ses séminaires, transmis entre étudiants comme des trésors sans prix, constituent en eux-mêmes une œuvre véritable.

Le domaine de travail de Denis Richet était la France entre les guerres de religion et la Fronde. D'une thèse achevée sur la famille Séguier et d'une autre entreprise sur la société parisienne à l'époque de la Ligue, il avait acquis une familiarité unique avec les archives de la capitale.

Trois questions ont plus particulièrement retenu Denis Richet. Celle, d'abord, de l'articulation entre les fractures religieuses et les divisions socioculturelles entre la Réforme et la Ligue. Dans un article des Annales de 1977, devenu classique, il développait des perspectives neuves sur la conquête des notables par le protestantisme triomphaliste entre 1555 et 1562, sur la violence catholique comprise comme une réponse plébéienne à ce qui était ressenti comme une « agression contre un équilibre culturel ancestral, des gestes et une façon spontanée de pratiquer sa religion », sur l'extrémisme ligueur, sa « psychose terroriste » et ses dévotions inédites. Les filiations politiques souterraines qui courent de la Ligue à la Fronde ont constitué un deuxième champ d'enquête privilégié pour Denis Richet, attentif aux parentés familiales, spirituelles et idéologiques qui lient le parti dévot aux ligueurs les plus radicaux ou, à l'inverse, celui des partisans de la politique de Richelieu aux « politiques » des guerres de religion. Enfin, dans une enquête sur la notabilité parisienne entre 1560 et 1650, Denis Richet a donné un rôle central au processus de formation de la haute noblesse de robe, enrôlée au service de l'État, insistant sur l'importance décisive des femmes et des parentés matrilinéaires et sur les énormes profits accumulés par les hommes de robe, serviteurs mais aussi créditeurs des grands ou du roi lourdement endettés.

Ce travail de recherche a donné sa substance au livre de 1973, La France moderne : l'esprit des institutions. Refusant une perspective réductrice, enfermant les réalités politiques et sociales dans les définitions juridiques ou les justifications idéologiques produites par les légistes anciens, Denis Richet y plaide contre « les pièges de l'histoire institutionnelle » et pour que soit reconnu le primat de la « pratique » dans le fonctionnement et la mutation des institutions. De là, sans doute, une série de diagnostics, émis à contre-courant des idées alors dominantes, mais largement confirmés par les recherches ultérieures : par exemple, la définition « communale » de la Ligue, la caractérisation de la Fronde comme une « maladie infantile de l'absolutisme » ou l'interprétation de l'absolutisme, résumée par un apparent paradoxe (« Plus l'absolutisme se renforce, plus il s'affaiblit ») qui souligne la contradiction entre les principes coutumiers de la monarchie absolue et les légitimations ou les pratiques qui, en hypertrophiant[...]

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