ROCHE DENIS (1937-2015)
Né à Paris le 21 novembre 1937, Denis Roche est directeur littéraire aux éditions Tchou de 1964 à 1970. Il devient par la suite membre du comité éditorial des éditions du Seuil. Si, dans les années 1950, les seuls noms de Bonnefoy, Schehadé ou Pichette avaient été synonymes de renouvellement de la poésie moderne, vers la fin des années 1960 apparaissent plusieurs œuvres réaffirmant la liberté audacieuse du vers. Après les recueils de Michel Deguy paraissent successivement Amen de Jacques Réda, E de Jacques Roubaud, Cyprès de Jude Stefan, Interdit est mon opéra de Lionel Ray, et surtout Éros Énergumène de Denis Roche (1968), le plus radical d'entre eux. Dans son cas, en effet, il s'agit d'une volonté de destruction — qui évoque parfois Dada — de l'ancien outil métrique considéré comme un véhicule facile de la poésie sentimentale, langagière, éculée. Le vers révélait en lui-même ses propres artifices, dénonçant ses manies et ses habitudes, réduit en quelque sorte à son négatif. Cette entreprise se lie à un travail théorique entrepris par la revue Tel Quel : Denis Roche fait partie de son comité de rédaction de décembre 1962 à septembre 1973, date à laquelle il démissionne, à la suite du colloque Artaud/Bataille de 1972. Proche de Ponge par certains côtés, il ne cesse durant cette période de questionner la logique de l'œuvre poétique, faisant à l'occasion des disciples, naïfs ou avertis – ainsi Christian Prigent ou Jean-Pierre Verheggen. Briser le vers, ridiculiser la pompe poétique, dénoncer l'alibi scriptural, récuser la notion quasi théologique d'auteur, détruire pour un nouvel ordre, telles étaient donc les fins poursuivies par Roche à travers une série de cinq recueils publiés de 1962 (Forestière amazonide) à 1972 (Le Mécrit), date à laquelle celui-ci dit adieu à la poésie (ces œuvres seront rassemblées en 1995 sous le titre La poésie est inadmissible). S'étant identifié à la poésie, s'il l'abandonnait, elle n'avait plus lieu d'être, ne l'intéressait plus. Il se tourne alors vers la photographie, juxtaposant texte et image dans Notre Antéfixe (1978), et développant son propos sur ce médium dans Le Boîtier de mélancolie (1999) et La photographie est interminable (2007).Avec Gilles Mora, Bernard Plossu et Claude Nori, il fonde en 1980 les Cahiers de la photographie.
« Chaque époque a le Rimbaud qu'elle mérite », affirme Jacques Réda : le passage de Denis Roche dans l'aire poétique du xxe siècle aura eu quelque chose de fulgurant, de scandaleux, d'inapproprié à l'état professionnel des poètes avoués. Son exemple aura comporté une leçon salutaire de dégoût et de lucidité – à considérer la gêne et le refus dont il aura été l'objet. À son caractère propre s'ajoute le fait qu'il s'est fait le traducteur de Pound, d'Olson, de Thomas, poètes majeurs de la génération le précédant, qu'il a entrepris la subversion du roman dans Louve basse (1972) et Dépôts de savoir et de technique (1980), qu'il a fondé et dirigé de 1974 à 2005 la collection Fiction et Cie (Seuil), qui publie auteurs français et étrangers, avec une préférence avouée pour les écrivains américains, qu'il a laissé un essai sur les pierres de Carnac (1969), qu'il s'est imposé, en bref, comme l'un des noms les plus singulièrement révélateurs de la modernité. Un ensemble d'essais sur la poésie et la photo ont été publiés dans La Maison du Sphinx (1992). Son œuvre photographique a fait l’objet de nombreuses expositions dans le monde et, en 2001, d’une rétrospective, Les Preuves du temps, à la Maison européenne de la photographie.
Denis Roche est mort à Paris le 2 septembre 2015.
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Écrit par
- Jude STÉFAN : professeur de lettres classiques
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