FAYOLLE DENISE (1923-1995)
« Le beau au prix du laid » : par cette devise souvent citée, Denise Fayolle, morte à Paris en 1995, résumait le sens des efforts qu'elle n'aura cessé de déployer, pendant plus de quarante ans, pour rapprocher en France, création et fabrication industrielle, style et grande distribution. Guère connue de ce public populaire dont elle ambitionnait de former le goût, cette femme toujours impeccablement vêtue de rigoureux costumes masculins aura été une de ces militantes de la mode et du design qui, dans les coulisses des Trente Glorieuses, ont pressenti et encouragé la mue des Français, et des Françaises surtout, en matière de consommation. Depuis la fin des années 1980, au sein de l'agence de conseil et de publicité Nomad qu'elle dirigeait avec Maïmé Arnodin (1916-2003), elle avait notamment rafraîchi l'image du numéro un de la vente par correspondance, La Redoute. Quelques années auparavant déjà elle avait donné une nouvelle jeunesse à l'autre grand de la V.P.C. française, les 3 Suisses, avec le célèbre « Chouchou ». Comme la grande distribution, la vente par correspondance aura été parmi ses conquêtes les plus marquantes.
Denise Fayolle est née à Paris en 1923. Championne de France de patinage artistique à seize ans (elle participe même un temps au spectacle Holiday on Ice), après des études de philosophie, elle devient rédactrice au magazine Votre Beauté. Mais c'est en 1953 qu'elle découvre sa vocation lorsque Jacques Gueden, le directeur général de Prisunic, lui propose d'entrer à la centrale d'achat de sa chaîne de magasins pour donner à ses produits ce qui leur manque le plus, comme d'ailleurs à l'ensemble des produits manufacturés (vêtements de confection et objets utilitaires quotidiens) qui sont alors le lot des Français moyens : une qualité esthétique, un style. « Là-bas, raconte Maïmé Arnodin, c'était encore les robes trois-trous avec de pantagruéliques pinces de poitrine. » Voyageuse à l'affût des talents et des innovations, fortement marquée par les exemples américains, mais aussi japonais, Denise Fayolle soude autour d'elle une équipe de convaincus qui comptera jusqu'à soixante personnes, parmi lesquelles Jean-Pierre Bailly et Andrée Putman. Cette petite machine de guerre lui permet de s'attaquer à la grisaille stylistique et à l'immobilisme industriel de l'époque et, au prix d'un combat sans relâche, de faire triompher, au tout début des années 1960, ce fameux « style Prisu », perçu alors comme anticonformiste, gai, plein d'allant, qui, à sa manière, illustre les fiançailles des Français avec la société de consommation. Les robes et les espadrilles de couleur de Prisunic, les blazers, les madras, les tenues sportswear (le mot vient d'arriver en France), le tout à de petits prix entraînants, font courir les bourgeoises des beaux quartiers. Les présentations de ses collections de prêt-à-porter (encore un mot nouveau qui s'impose), notamment au Théâtre en Rond, et en musique (autre innovation), accèdent au rang d'événements parisiens où se retrouve la génération des stylistes, des designers et des journalistes qui fabriquent le nouvel air du temps. En 1964, avec Terence Conran, le fondateur d'Habitat, Denise Fayolle crée, pour Prisunic, le premier catalogue de vente de mobilier par correspondance. Ainsi que le suggère son titre officiel de directeur des services Style, Relations Presse, Publicité et Conditionnement, elle ne limite pas son offensive au seul design des choses, mais l'étend à l'ensemble des mécanismes qui contribuent à l'image de Prisunic et à l'identité de ses articles, quels qu'ils soient – jupe, bouteille d'huile, assiette ou boîte de cirage. « L'objet quotidien, aime-t-elle répéter, doit être beau, ultrapratique et intelligent. » Quand elle quitte la chaîne en 1967, celle-ci totalise quelque[...]
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Écrit par
- Farid CHENOUNE : agrégé de lettres modernes, journaliste
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Autres références
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- 695 mots
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