DENYS ou PSEUDO-DENYS L'ARÉOPAGITE (Ve-VIe s.)
Nommer Dieu
C'est de l'Écriture que Denys prétend tirer son enseignement sur Dieu, comme d'ailleurs la totalité de sa doctrine (Noms divins). Il « expliquera » donc les dénominations empruntées à l'ordre de l'intelligence (νοητά) et à l'ordre des sens (αἰσθητά) que la Bible applique à Dieu. Or, si pour ces dernières Denys semble bien s'en tenir en fait aux images bibliques, il n'en va pas de même pour les dénominations intelligibles. À des noms incontestablement bibliques (unité et trinité, justice, salut, rédemption, tout-puissant, ancien des jours, saint des saints, roi des rois, seigneur des seigneurs, etc.) se joignent ou se mêlent des noms encore bibliques sans doute, mais dont telles philosophies ont déjà proposé des commentaires complaisamment retenus par Denys (bien, lumière, beau, amour, ἔρως, ἀγάπη, ἔϕεσις indistinctement ; être, vie, sagesse, intelligence, raison, vérité). Denys propose en outre comme noms divins des couples de termes sur lesquels semble s'être exercée presque exclusivement la spéculation philosophique : égal et inégal, grand et petit, même et autre, semblable et dissemblable, repos et mouvement. Enfin, le dernier chapitre des Noms divins (xiii : « Du Parfait et de l'Un ») présente Dieu comme l'Un, dans des développements de caractère à peu près exclusivement néoplatonicien.
Quelles que soient la provenance et l'histoire de ces divers noms, Denys leur applique un traitement identique. Et son « exégèse » se fonde, d'une part, sur ce double enseignement biblique que le Dieu créateur est dans son œuvre et se révèle par elle (cf. Romains, i, 20), mais que personne n'a jamais vu Dieu ni ne le verra (cf. Exode, xxxiii, 20 ; Jean, i, 18 ; I Jean, iv, 12) ; et, d'autre part, sur la double dialectique des néoplatoniciens qui, dans le sens de la procession, affirme tout de Dieu et lui donne une multiplicité (πολύωνυμος), voire une infinité de noms (ἀπειρώνυμος), et qui, au contraire, dans le sens de la conversion, nie tout de lui et lui refuse tout nom : Dieu est « sans nom », « anonyme », ἀνώνυμος ; il est « au-delà de tout nom » (ὑπερώνυμος). Ainsi, notamment, l'unité et la trinité de Dieu seront à la fois considérées comme des noms véritables et parfaitement appropriés (ἀληθω̃ς, κυρίωτατα) et comme des appellations que doit contester, « réduire » et rejeter la théologie négative :
« La divinité qui est au-delà de tout (ὑπὲρ πάντα) n'est ni monade (μονάς) ni triade (τριάς)... ; ni nombre (ἀριθμός), ni unité (ἑνότης), ni fécondité (γονιμότης), ni rien d'autre qui appartienne aux êtres (ἄλλο τι τ̃ων ὄντων) ou soit connu de ces êtres (συνεγνωσμένων). » « Dieu n'est ni un, (ἕν) ni unité (ἑνότης), ni divinité (θεότης), ni bonté (ἀγαθότης), ni esprit (πνευ̃μα) au sens où nous entendons ces termes ; il n'est ni fils (υἱότης), ni père (πατρότης), ni rien d'autre que nous-mêmes ou tout autre pourrions connaître. »
Il semble que le pseudo-Denys, fidèle à cette ligne d'explication que lui proposait le néoplatonisme, ait voulu éviter un certain nombre de termes techniques et d'exposés classiques dans la théologie trinitaire traditionnelle, pour leur substituer une autre problématique où l'opposition dialectique entre unité et trinité les réduirait l'une et l'autre dans une « surunité » :
« Pour que nos louanges disent en toute vérité (ἀληθω̃ς) que Dieu dépasse toute unité (τὸ ὑπερηνωμένον) et qu'il est divinement fécond (τὸ θεογόνον), nous lui donnons à la fois un nom divin qui exprime[...]
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Écrit par
- René ROQUES
: directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section),
honorary member of the Royal Irish Academy , Dublin - Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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