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SOLOMOS DENYS (1798-1857)

Maturité pénible à Corfou

Dans la vie de Solomos, le changement, lié à des causes multiples, subjectives et objectives, ne s'opéra pas d'un jour à l'autre. Au début, Corfou représente pour lui le calme et le bonheur tranquille : « On ne vit bien que seul » (1831). Il travaille Lambros et, chose exceptionnelle, il en publie un fragment (1834) ; en même temps, toujours fasciné par la littérature crétoise, il commence à composer Crétois (1833-1834).

Un long procès familial, relatif à une affaire d'héritage, le bouleversa pendant cinq ans (1833-1838), et le fait qu'il s'opposa publiquement à sa mère n'est pas le moins douloureux. Après quoi, ayant perdu son équilibre psychique, il travailla de plus en plus péniblement.

Les difficultés s'accumulèrent. Dès 1830, Solomos avait commencé à s'intéresser à la poésie et à la pensée allemandes : Schiller, Schlegel, Schelling, surtout Hegel, ont influencé progressivement l'œuvre de sa maturité. Le contact avec la réalité historique – contact réalisé à Zante au cours de la phase dynamique de la révolution – est devenu abstrait et incertain. Sans doute, la Grèce postrévolutionnaire, presque complètement absente des écrits de Solomos, était-elle loin de correspondre à son idéal. Poète du réel, il fut obligé de recourir à une idéalisation extrême pour rejoindre sa réalité perdue (la révolution). « Il faut s'élever verticalement », écrivait-il à une autre occasion (1833). Mais les dangers de la chute n'étaient pas négligeables. À mesure que la maturité de Solomos impliquait une problématique de plus en plus poussée et exigeante, le conflit entre la matière et l'écriture s'accentuait. Les Libres Assiégés, que le poète reprenait pour la troisième fois en 1844, donnent une idée de cette lutte tragique de l'écrivain avec l'expression. Les Réflexions en prose, qui précèdent le texte inachevé, montrent à quel point Solomos, visant l'impossible, s'était engagé dans une voie aussi courageuse qu'inextricable.

Il laissa des fragments et des vers isolés. Avec le temps, sa force de travail semblait diminuer, sa santé était de plus en plus ravagée par l'alcool. Porphyras (1847-1849), inspiré d'un fait divers de l'époque, n'aura que le sort des autres grandes compositions : ouvrage inachevé, mais un ensemble de vers sublimes. C'est au cours de cette dernière période de sa vie que Solomos revint provisoirement à la versification italienne.

De son vivant, il n'avait présenté que quelques poèmes. Lorsque, en 1859, son ami et principal biographe J. Polylas publia à Corfou les fragments de ses œuvres complètes, la déception fut presque générale. Mais Solomos ne perdit jamais sa première place dans la littérature néo-hellénique. Chef de l'école de l' Heptanèse, il fut reconnu et honoré aussi par la génération athénienne de 1880. Depuis plus d'un siècle, la pensée critique en Grèce ne se développe, en grande partie, qu'en essayant de résoudre les problèmes posés par cette œuvre mutilée. Solomos offre un rare exemple de poète qui, malgré sa défaite ou peut-être à cause d'elle, remporta une telle victoire.

— Panayotis MOULLAS

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Écrit par

  • : professeur de littérature néo-hellénique à l'université de Salonique

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    • 7 317 mots
    Juste après le déclenchement de la révolution, l'apparition du poète zantiote Denys Solomos (1798-1857) devait conduire à une synthèse riche d'avenir ; la culture italienne, le romantisme, les idées des Lumières, la littérature crétoise et la chanson populaire, l'idéalisme allemand même en sont les...