WALCOTT DEREK (1930-2017)
Né le 23 janvier 1930 dans l'île de Sainte-Lucie aux Antilles, orphelin de père à l'âge d'un an, Derek Walcott est élevé avec son jumeau Roderick par sa mère Alix, directrice de l'école méthodiste de Castries. Derek devient rapidement conscient de sa singularité : dans une région du monde où la considération sociale est proportionnelle à la blancheur de la peau, ce « chabin » aux cheveux roux et aux yeux clairs, issu d'une famille où l'on vénère peinture et littérature, est de plus méthodiste dans une communauté majoritairement catholique. Après une licence d'anglais, latin et français à l'University College de la Jamaïque, il bénéficie en 1958 d'une bourse Rockefeller qui lui permet d'aller à New York étudier le théâtre. Lors de ce séjour, il découvre Brecht, la comédie musicale, ainsi que les genres dramatiques chinois et japonais. Au contact de traditions radicalement étrangères, il perçoit l'originalité de l'être caribéen, curieux mélange de formalisme et d'exubérance. À son retour aux Antilles, il fonde en 1959 le Trinidad Theatre Workshop qu'il dirige jusqu'en 1976. Avec cette troupe, au sein de laquelle naît le nouveau théâtre antillais, il met en scène les classiques mais aussi ses propres pièces comme Dream on Monkey Mountain (1970, Rêve sur la montagne au singe) et Ti-Jean and hisBrothers (1970, Ti-Jean et ses frères), qui rassemblent tradition populaire et inspiration savante. Pour lui, un acteur doit être danseur, savoir déclamer Shakespeare et chanter le calypso avec la même assurance. Walcott évoque le contexte colonial de son enfance, « débilité paludéenne » où tous croyaient que « rien ne se construirait jamais parmi ces cabanes décrépies [...] étant pauvres, nous avions déjà le théâtre de nos vies ». Assimilateur instinctif, il dévore la littérature des différents empires, Rome, la Grèce, la Grande-Bretagne. Cet admirateur du nô et du kabuki adore aussi le créole des rues et l'archétype du héros populaire antillais, apparemment écrasé par la puissance de l'argent et des anciens maîtres esclavagistes, mais aussi « décepteur » inventif qui, en feignant soumission et stupidité, remporte bien des victoires.
Une exploration de la mémoire collective
Sa première pièce Henri Christophe, créée en 1950, « tragédie de la revanche » jacobéenne revue à travers la perspective de T. S. Eliot, met en scène le premier roi noir du Nouveau Monde. Son théâtre des années 1960 et 1970 souligne la dimension héroïque de personnages humbles, pêcheurs, bûcherons, charbonniers. À travers l'œuvre de Walcott, les enfants des esclaves qui ont tout perdu fouillent la mémoire collective, délaissent la grimace coloniale du nègre rigolard, le folklore qui préserve l'ordre ancien. Refusant la négritude régressive, Walcott revendique sa double appartenance : « Quelque chose remue en moi lorsque je vois le mot ashanti ou le mot Warwickshire, qui tous deux évoquant les racines de mes grands-pères donnent nom à ce bâtard sans honte et sans fierté, cet hybride, cet Antillais. » Le théâtre de Walcott trouve également sa source dans la comédie musicale avec The Joker of Seville (1978), inspiré par El Burlador de Sevilla de Tirso de Molina, et dans l'Antiquité classique, comme en témoigne The Odyssey (1993), commande de la Royal Shakespeare Company. Dans cette pièce, Walcott recreuse le mythe homérique déjà fortement antillanisé dans son long volume poétique Omeros (1990).
Parallèlement à sa production dramatique, Walcott qui a toujours écrit de la poésie, publie 25 Poems en 1949, Poems et Epitaph for the Young en 1952 et In a Green Night en 1962. Dans The Castaway (1965) et The Gulf (1969), volumes plus sombres marqués par la désillusion, le créateur approfondit la métaphore de Robinson Crusoe : tel un[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Pierre DURIX : professeur émérite, université de Bourgogne, Dijon
Classification
Média
Autres références
-
UNE AUTRE VIE, Derek Walcott - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-Pierre DURIX
- 785 mots
- 1 média
Dans cette longue suite poétique qu'est Une autre vie (Another Life), Walcott (1930-2017) réinvente le monde de ses origines sur l'île antillaise de Sainte-Lucie. Ne percevant pas dans son environnement immédiat la possibilité de développer ses talents créateurs, le jeune garçon recherche ses...
-
CARAÏBES - Littératures
- Écrit par Jean-Pierre DURIX , Claude FELL , Jean-Louis JOUBERT et Oruno D. LARA
- 15 575 mots
- 4 médias
Né à Sainte-Lucie et élevé dans le culte de l'art par un père trop tôt disparu, Derek Walcott, Prix Nobel de littérature en 1992, a longtemps hésité entre peinture et littérature avant de décider que son talent particulier lui enjoignait de s'occuper de la « métaphore ». Néanmoins, son attrait pour... -
POSTCOLONIALES ANGLOPHONES (LITTÉRATURES)
- Écrit par Jean-Pierre DURIX et Vanessa GUIGNERY
- 9 074 mots
- 5 médias
Le théâtre postcolonial naît véritablement aux Antilles avec la fondation, au tournant des années 1960, du Trinidad Theatre Workshop (Atelier théâtral de Trinidad) par l'écrivain Derek Walcott (1930-2017), originaire de Sainte-Lucie. Ses œuvres dramatiques telle Ti-Jean and hisBrothers...