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WALCOTT DEREK (1930-2017)

Le Poète, nouvel Adam

Une autre vie (Another Life, 1973), long cycle autobiographique, commence sur la véranda d'une maison coloniale où « les pages de la mer / sont un livre ouvert par un maître absent / au mitan d'une autre vie ». Le poète déplore que personne n'ait encore écrit les paysages de son enfance : « Des générations entières disparurent sans nom de baptême / pousses cachées dans l'obscurité glauque, forêts / de l'histoire coagulées par l'amnésie. » L'artiste est comme l'enfant privé de son histoire qui porte à son oreille la conque d'où surgissent soudain les gémissements des Africains chargés de force sur les bateaux négriers, les angoisses des Indiens arrachés à leur lointaine Madras. « Dans le palais de la conque, / dans la voile morte de la feuille d'amandier / se nichent tous les voyages. » Avec son ami peintre Gregorias, le poète, enivré par l'ampleur de la tâche, contemple ce monde vierge, jamais encore dépeint et, tel Adam, « donne leur nom aux choses ». Tour à tour saisi de vertige et paralysé par son impuissance, l'artiste creuse la langue, traquant les métaphores mortes et la grandiloquence.

Toujours sombre dans « Names » (Seagrapes, 1976[Raisins de mer]), le poète ne dispose que d'un bâton « pour tracer nos noms sur le sable / que la mer effaça de nouveau, et nous restâmes indifférents ». Désabusé par ses illusions perdues, Walcott stigmatise dans The Star-Apple Kingdom (1979, Le Royaume du fruit-étoile) les nouveaux politiciens antillais avides de pouvoir et d'argent sale après les indépendances. Malgré « le synode des mouches... la grosse grenouille beuglant en quête de suffrage » (« The Sea is History »), la mer demeure le berceau de l'histoire et l'artiste, détenu dans la « dure prison » de la poésie doit composer inlassablement « ce langage qui passe de main en bouche » (« Forêt d'Europe »).

Devenu professeur à l'université de Boston en 1981, Walcott, qui compte parmi ses proches amis Seamus Heaney et Joseph Brodsky, revient cependant chaque été aux Antilles. Dans Midsummer (1984), le poète écoute le bruit de pas de la « division de dictions, une troupe noire, pieds nus, / l'autre en habits rouges brillants comme le sang de leur souverain... / L'une a combattu pour une reine, l'autre fut enchaînée à son service... / Le vert chêne de l'anglais est un murmure de cathédrale / où certains ont pris ombrage ». Une tension créative entre l'amour de l'anglais, et de la culture qu'il véhicule, et la tendresse pour le créole, langue du petit peuple de Sainte Lucie, structure nombre de poèmes dans The Star-Apple Kingdomet The Arkansas Testament (1987, La Lumière du monde), volume divisé entre l'« Ici » de la première partie et l'« Ailleurs » de la seconde. Le vers oscille entre le formalisme de la rime, du sonnet, du quatrain, et le vers libre, à la recherche d'un équilibre toujours instable entre éloquence et simplicité, discipline artisanale où l'artiste vise l'honnêteté du charpentier.

The Bounty (1997) célèbre les forces de vie malgré les tragédies endurées par la figure aux connotations autobiographiques qui réapparaît dans les différents poèmes. Le retour aux lieux familiers s'impose, même si « la mémoire est moindre / que l'endroit qu'elle chérit » (« Parang »). Dans Tiepolo'sHound (2000, Le Chien de Tiepolo), l'entreprise artistique du peintre Pissaro sert de base à une recréation du parcours artistique de Walcott. Dans ce volume est réaffirmé le double attachement de l'auteur à l'écriture poétique et à la peinture, deux carrières qu'il a tenté de mener de front pendant toute sa vie. Dans The Prodigal (2004), Walcott évoque des moments intimes comme la[...]

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Derek Walcott - crédits : Doug Griffin/ Toronto Star/ Getty Images

Derek Walcott

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