DERVICHES TOURNEURS
On donne communément, en Occident, en raison de leur danse caractéristique, le nom de derviches tourneurs aux membres de la confrérie, ou ṭarīqa, des Mawlāwī, disciples de Mawlānā Djalāl al-Dīn Rūmī. Le terme arabe de ṭarīqa (signifiant « chemin », « voie ») a pris deux acceptions en mystique musulmane ; il désigne tantôt une méthode de direction spirituelle menant, à travers diverses étapes, de la pratique littérale de la Loi révélée (sharī‘a) jusqu'à la Réalité ultime (ḥaqīqa) ; tantôt l'ensemble des rites préconisés pour la vie commune dans les confréries musulmanes et, par extension, ces communautés elles-mêmes (pluriel ṭuruq) ayant pour chef un maître qui tire lui-même son autorité de toute une chaîne (silsila) de maîtres spirituels qui remontent généralement au Prophète ou à son gendre, l'imām ‘Alī. Ce dernier cas est celui des Mawlāwī, nous dit Aflākī, leur hagiographe (Manāqib ul-‘Ārifīn, trad. C. Huart, Les Saints des derviches tourneurs, 2 vol., Paris, 1918-1922, t. I). L'appartenance à l'une de ces confréries — assez similaires aux tiers ordres chrétiens — peut entraîner la résidence dans un « monastère » (takya) pour des périodes plus ou moins longues, très rarement pour toute la vie.
La ṭarīqa des Mawlāwī a été fondée à Konya, au xiiie siècle, par Djalāl al-Dīn Rūmī, mais fut véritablement organisée par son fils, Sultān Walad, qui, aux dires d'Aflākī, « remplit de ses lieutenants le territoire de l'Asie Mineure ». La première takya de Konya devint le centre à partir duquel les autres furent créées. Dans les plus importantes, appelées āstāna, se faisaient les retraites (tchella), qui duraient mille et un jours ; c'est là aussi que les derviches recevaient un enseignement. Il existait des takya en Turquie, en très grand nombre ; en Syrie, en Égypte, et dans tout l'empire ottoman, jusqu'à Vienne. C'est le chef de la confrérie, habitant à Konya et portant le titre de tchelebi, qui avait le privilège, à partir du xvie et du xviie siècle, de ceindre de l'épée le nouveau sultan. Vingt et un tchelebis se sont succédé depuis Djalāl al-Dīn Rūmī. À partir du xvie siècle, les principales takya ont été construites par des émirs et des princes.
Au début, la confrérie était décentralisée et d'esprit très démocratique. Peu à peu, la faveur dont elle était l'objet de la part des sultans, qui s'en servirent souvent comme rempart contre les mouvements hérétiques et révolutionnaires d'autres sectes, lui conférèrent un caractère plus aristocratique. Mais elle ne perdit jamais les caractéristiques que lui avait imprimées son fondateur : esprit de large tolérance, ne faisant aucune différence entre les religions, amour de la science et de la beauté sous toutes ses formes. La littérature, la musique, la danse, la poésie et les traditions artistiques (calligraphie, notamment) des Mawlāwī exercèrent leur influence sur la culture, non seulement de l'Anatolie, mais de tout l'empire. En 1925, par ordre d'Ataturk, toutes les ṭuruq ont été supprimées en Turquie, et la takya de Konya a été transformée en musée. Il existe encore des centres mawlāwīs en Égypte, à Chypre, en Libye, au Liban, en Yougoslavie.
La célèbre danse tournoyante des Mawlāwī ou derviches tourneurs constitue un véritable office liturgique dont tous les gestes comportent un sens symbolique. Les derviches entrent dans la salle de la takya vêtus de blanc, symbole du linceul, et enveloppés d'un manteau noir représentant la tombe (ou la lourdeur terrestre). Ils s'en libèrent comme pour une nouvelle naissance. Leur haute toque est l'image de la pierre tombale. Le sheikh, au milieu des danseurs, représente le point d'intersection de l'intemporel et du temporel. Les derviches font d'abord trois tours,[...]
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Écrit par
- Eva de VITRAY-MEYEROVITCH : professeur à l'université d'Al-Azhar, Le Caire
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