DES ARBRES À ABATTRE (mise en scène K. Lupa)
Vienne au crépuscule
Après s’être confronté à Musil, Broch, Dostoïevski, Boulgakov, Krystian Lupa fait preuve une nouvelle fois de son talent dans l’adaptation d’écritures romanesques. Son travail opère une osmose subtile et intelligente avec l’œuvre de Bernhard, à laquelle il apporte une résonance éclatante sous cette forme théâtrale. Scénographe inspiré, il installe un salon bourgeois sur un plateau tournant derrière des parois vitrées, créant ainsi une sorte de vivarium propice à l’étude des espèces animales, adossé à une « forêt de haute futaie, avec des arbres à abattre », dont les plans successifs évoquent un refuge possible pour une société renaissante. Mariant avec une belle cohérence les scènes filmées, qui croisent les temporalités en évoquant le passé et la mort de Joana, dont le fantôme plane sur la soirée, ou cadrent les personnages de façon à établir avec eux la plus grande proximité, Lupa conduit sans atermoiements un voyage intérieur profond et inquiétant. On peut y voir une forme d’aboutissement du dialogue qu’il a entretenu avec Thomas Bernhard, en multipliant perspectives et angles d’approche. Ainsi, il articule avec fluidité et densité les strates successives d’une histoire qu’il ne se contente pas de raconter, mais qu’il donne également à ressentir. Interroger la place de l’artiste dans la société où il vit, c’est alors opérer une plongée saisissante dans les abîmes des âmes, confrontées à une réalité sociale et artistique en manque de valeurs.
Comme à son habitude, à partir d’un travail d’improvisations, Krystian Lupa dirige avec subtilité et finesse treize comédiens magnifiques de présence et d’intériorité, sans jamais tomber dans la parodie. On retrouve son fidèle interprète Piotr Skiba (Bernhard), accompagné notamment de Jan Frycz (le « grand comédien »), Marta Zieba (captivante et émouvante Joana), Wojciech Ziemianski et Halina Rasiakowna (les époux Auersberger). Ce spectacle fascinant en langue polonaise sous-titrée en français constitue un sommet exemplaire de l’art théâtral d’aujourd’hui.
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
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