DES FRANCS AUX MÉROVINGIENS (expositions)
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Après les querelles souvent dépassées qui ont marqué, en 1996, l'« année Clovis », deux expositions fondées sur les acquis de l'archéologie ont fait très opportunément le point des connaissances : Les Francs. Précurseurs de l'Europe, au musée du Petit Palais à Paris, pour le demi-millénaire qui s'écoule de l'apparition des Francs à la fin du royaume mérovingien ; Trésors mérovingiens d'Île-de-France, au musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye, pour une région située au cœur du royaume mérovingien.
Conçue à l'initiative du Reiss-Museum de Mannheim, qui l'a présentée de septembre 1996 à janvier 1997, l'expositionLes Francs. Précurseurs de l'Europe a fait étape au Petit Palais du 23 avril au 22 juin 1997 avant d'être montée à Berlin, où elle a été visible de juillet à octobre. Réalisée par un groupe d'historiens et d'archéologues allemands et français, avec la collaboration de chercheurs belges et néerlandais, elle présentait une synthèse des recherches les plus récentes. D'une ampleur moindre que celles de Mannheim et de Berlin, l'exposition du Petit Palais réunissait une sélection d'objets plus restreinte, bien qu'enrichie de quelques prêts complémentaires de musées français. Elle se caractérisait aussi par une présentation très pédagogique, qui s'attachait à combattre les idées reçues, les pièces et les ensembles représentatifs étant accompagnés de panneaux qui fournissaient au visiteur des explications brèves, mais précises. Quelques scènes de l'histoire mérovingienne, œuvres de peintres du xixe siècle, accueillaient le visiteur ; elles marquaient l'opposition entre une vision romantique vieillie et l'approche scientifique proposée par les organisateurs. L'accent était mis tout d'abord sur l'importance de l'archéologie, et plus particulièrement des fouilles de nécropoles qui constituent une source irremplaçable pour la connaissance de la période qui s'étend du ive au viiie siècle, du fait de la pratique de l'inhumation habillée accompagnée d'un dépôt funéraire. La présence dans les sépultures d'accessoires du costume, d'armes, d'objets de parure, d'outils, de monnaies, etc., permet en effet de suivre l'évolution des techniques artisanales et nous renseigne aussi sur le mode de vie, les structures sociales, les croyances religieuses des populations inhumées.
Trois des treize salles étaient consacrées à l'origine des Francs, qui apparaissent au iiie siècle sur le cours inférieur du Rhin, et à leurs rapports avec le monde romain. Tantôt adversaires, tantôt alliés de l'Empire, les Francs finiront par entrer à son service. Ils sont recrutés comme auxiliaires dans l'armée romaine des ive et ve siècles, tant dans les troupes mobiles que dans les unités territoriales. Au début du ve siècle, la Notitiadignitatum (Notice des dignités), qui dresse la liste des troupes romaines, mentionne ce recrutement. Si l'acculturation des Germains installés en Gaule fut rapide, l'archéologie a néanmoins permis d'identifier des individus d'origine barbare grâce à certains usages funéraires, telle une pratique résiduelle de l'incinération, ou par le dépôt dans quelques sépultures d'objets caractéristiques. La présence d'auxiliaires germaniques était illustrée par des mobiliers funéraires d'hommes, accompagnés d'armes, et de femmes, inhumées avec le costume traditionnel orné de fibules en « trompette » ou en « arbalète », provenant de sites militaires de la frontière rhénane (Krefeld-Gellep), de la frontière maritime (Vron, Somme) ou de fortifications rurales appartenant au système de défense en profondeur de la Gaule du Nord (Vireux-Molhain, Ardennes).
Au ve siècle, les peuples germaniques – Wisigoths, Burgondes et Francs – s'installent en Gaule, où, à partir de 486, l'expansion franque donne naissance au royaume mérovingien. Cette expansion n'est pas une colonisation, mais un contrôle des territoires conquis par l'installation de petites communautés composées d'un chef et de sa suite, dont témoignent les riches tombes de Lavoye (Meuse), Louvres (Val-d'Oise), Flonheim (Hesse), etc. La cartographie des épées trouvées dans les tombes de « chefs » permet de suivre les étapes de la conquête. Celles de type précoce se répartissent surtout entre la Meuse supérieure et le Rhin inférieur, alors que celles de l'époque de Clovis correspondent aux tombes du groupe Flonheim-Gültlingen et se rencontrent dans le bassin nord de la Seine et sur le Rhin moyen. L'intégration des barbares au monde romain n'est pas interrompue par les migrations du ve siècle. Le roi franc Childéric est inhumé à Tournai, en 481-482, avec le bracelet ouvert en or, insigne de son rang, et la fibule cruciforme qui ferme le paludamentum (manteau) des officiers au service de l'Empire. Quand Clovis prend le pouvoir, il conserve les structures administratives et religieuses de l'Empire, le catholicisme étant en Gaule religion d'État.
La continuité de la civilisation romaine se manifeste dans le maintien d'une vie urbaine. À Trèves, Cologne, Paris et Lyon, des églises sont construites, de plus en plus nombreuses. Rois et aristocrates francs se font inhumer dans les sanctuaires : Clovis dans l'église des Saints-Apôtres, à Paris ; ses successeurs, à partir de Dagobert Ier, dans la basilique de Saint-Denis, où fut trouvée, en 1959, la tombe de la reine Arégonde. L'écrit conserve un rôle prépondérant dans l'administration, le droit et la vie quotidienne. Enfin, à l'image traditionnelle d'un monde franc autarcique s'oppose la circulation des hommes et des marchandises, attestée par les textes et l'archéologie, qu'il s'agisse du commerce interrégional des biens de consommation ou de l'importation des produits orientaux par les ports méditerranéens.
Montée essentiellement à partir du riche fonds du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, l'exposition Trésors mérovingiens d'Île-de-France, ouverte au public du 3 avril au 31 août 1997, présentait une démarche comparable pour la période du ve au viiie siècle, et ce à l'échelle d'une région dont Clovis fit le centre du royaume franc quand il choisit Paris pour capitale. Les parures provenant des riches tombes de l'aristocratie mérovingienne établie sur les grands domaines d'Île-de-France, telle celle de Jouy-le-Comte (Val-d'Oise), y soutenaient la comparaison avec le mobilier des sépultures princières de Saint-Denis, entré en 1993 dans les collections du musée.
Ces deux expositions ont confirmé que l'enquête archéologique et la recherche historique s'accordent à voir des signes d'une continuité évidente dans l'évolution qui, entre le iiie et le viiie siècle, conduit de l'Antiquité au Moyen Âge. L'entrée des Francs dans l'Empire et la création du royaume mérovingien ne se traduisent pas par une rupture, mais par une prise de contrôle des structures existantes. L'exposition Les Francs. Précurseurs de l'Europe nous rappelait en outre que les Francs sont d'origine germanique et que les souverains mérovingiens, dont le royaume s'étendait sur la France, l'Allemagne, la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas, ont écrit une page d'histoire commune aux pays d'Europe occidentale.
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Écrit par
- Claude SEILLIER : ancien conservateur du musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Boulogne-sur-Mer, chargé de mission au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye
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