DES HOMMES ET DES DIEUX (X. Beauvois)
En épigraphe de son film, Xavier Beauvois propose un verset tiré du psaume 82 : « Je l'ai dit : vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant vous mourrez comme des hommes. » Ces fils de Dieu sont ici des moines cisterciens remarquablement interprétés par, entre autres, Jacques Herlin, Philippe Laudenbach, Olivier Rabourdin. Leur foi les conduit sur le chemin d'une mort atroce.
Des hommes et des dieux, grand prix du jury du festival de Cannes 2010, s'inspire librement d'un fait historique qui bouleversa en son temps l'opinion publique internationale. Le 27 mars 1996, sept moines cisterciens français du monastère de Notre-Dame de l'Atlas, situé sur les sommets de l'atlas de Blida près du village de Tibéhirine, sont enlevés par un commando. Le 26 avril, l'enlèvement est revendiqué par le G.I.A. (Groupe islamiste armé), en guerre ouverte depuis 1993 avec le pouvoir algérien. Cette prise d'otages donne lieu à des négociations infructueuses entre les ravisseurs et les gouvernements algérien et français. Le 23 mai, le G.I.A. annonce l'exécution des moines dont on retrouve les têtes (mais non les corps), le 30 mai, sur une route près de Médéa. Aujourd'hui encore, on s'interroge sur les circonstances exactes de cet assassinat et sur l'identité réelle des meurtriers.
Des hommes et des dieux ne répond pas à cette double interrogation. En décrivant la vie quotidienne des moines dans ce monastère, Xavier Beauvois s'attache à nous donner l'intuition de l'engagement profond de ces chrétiens en terre musulmane pour qui la foi en Dieu implique d'aller jusqu'au bout de leurs convictions et s'unit à une profonde humanité. Son film noue des liens étroits entre le sacré et le profane. Avec simplicité et rigueur, le cinéaste ancre son propos autour d'une « mise en scène » naturelle, celle du rituel du sacré. À l'intérieur du monastère, l'espace du sacré s'insère dans la chapelle aux tonalités bleues où, sept fois par jour, conformément à la règle de saint Benoît, les moines en tenue blanche et noire, debout, assis ou à genoux, se réunissent pour la « liturgie des heures » – prière en commun où les psaumes sont chantés d'une seule voix, dans un souci de communion fraternelle. Scandant les péripéties du récit, constamment tendu par l'ellipse et un montage cut, ces courtes séquences sont traitées en plans fixes resserrés où les moines sont filmés les uns près des autres, de dos en demi-cercle ou en deux files placées de chaque côté de l'autel. Par opposition, dans de magnifiques paysages du Maghreb présentés en plans d'ensemble (le film a été tourné au Maroc), la caméra suit, en longs travellings et en brefs panoramiques sur les arbres, les déplacements des personnages. Ainsi dans la très belle séquence où Christian (Lambert Wilson), le Prieur, médite en se promenant le long d'une rivière. Pendant cette méditation, en son off, l'espace du sacré – les chants religieux de la chapelle – vient se superposer à l'espace profane du paysage.
En dehors de la prière et des temps de silence, les moines travaillent en bibliothèque, cultivent leur jardin et vendent leur miel au marché du village. Loin de tout prosélytisme, leur foi en Dieu ouvre leur cœur aux autres et les rapproche constamment des habitants musulmans du village. Ils aident et conseillent les plus pauvres et surtout soignent les malades. Dans un dispensaire, Luc (Michael Lonsdale), médecin de formation, accueille adultes et enfants qui viennent de toute la région et donne jusqu'à cent cinquante consultations par jour.
Dès octobre 1993, un ultimatum du G.I.A. avait ordonné aux étrangers de quitter l'Algérie. Lorsque, dans le village, une équipe de travailleurs croates est massacrée sans pitié et qu'un[...]
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
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