DESCRIPTION (esthétique)
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L'histoire de l'art ne peut se construire qu'à partir de l'examen attentif de l'apparence, aussi la description est-elle l'un de ses outils d'investigation fondamentaux. Des travaux, comme ceux de Philippe Hamon (La Description littéraire : anthologie de textes théoriques et critiques, 1991) et de Roland Recht (Le Texte de l'œuvre d'art : la description, 1998), ou, encore, les actes du colloque La Description de l'œuvre d'art. Du modèle classique aux variations contemporaines (Olivier Bonfait dir., 2004) ont étudié la genèse et l'évolution de ce discours qui dépeint un objet avec des mots.
L'Antiquité en offre des exemples fameux sous la forme de l'ekphrasis, développement qui fait voir, par le pouvoir expressif de la poésie ou de la prose, une œuvre d'art réelle ou imaginaire. Ce terme grec, qui indique l'action d'« exposer », d'« expliquer en détail », trouve son illustration dans le passage de L'Iliade évoquant les scènes représentées sur le bouclier d'Achille, ou, plus tardivement, dans La Galerie de tableaux de Philostrate, au début du iiie siècle après J.-C. Ces exemples s'inscrivent dans la doctrine mimétique dite de l'Ut pictura poesis, selon la formule d'Horace, au ier siècle avant J.-C., dans son Art poétique – « la poésie est une sorte de peinture » –, interprétée par de nombreux auteurs. Ainsi Charles-Antoine Coypel, dans son discours d'Académie intitulé Parallèle de l'éloquence et de la peinture (1749), montre-t-il que tous les arts recourent à des moyens semblables pour décrire le réel.
Une telle conception sera combattue par Gotthold Ephraïm Lessing dans le Laocoon ou Des frontières de la peinture et de la poésie (1766 ; trad. franç. 1866), où sont examinées les contraintes formelles propres à chaque genre. Cet essai à la portée décisive, dont le célèbre groupe sculpté est l'emblème, cherche à définir les champs respectifs de la littérature et des arts plastiques, la première devant se consacrer à la temporalité, à l'action, au récit, tandis qu'aux seconds reviendrait l'intérêt pour l'instant, pour le corps et la description.
Consciente de la difficulté de faire passer par le discours, donc par une linéarité en ordre successif, une apparence complexe dont les aspects se présentent à la vue simultanément, la critique d'art du xixe siècle – qui prend son essor à la suite des Salons (1759-1781) de Diderot – accorde à la description des tableaux, et plus précisément de leurs sujets, une place essentielle. Dans son Journal, en 1855, Eugène Delacroix reproche même à Théophile Gautier de lui sacrifier l'exercice de la véritable critique. La participation massive des écrivains à cette littérature d'art explique le développement d'un style « artiste », où s'illustrent Edmond et Jules de Goncourt (1822-1896 et 1830-1870). Le rôle de la description brillante tend toutefois à s'atténuer avec l'avènement du système « marchand-critique », lorsque la présentation des œuvres cherche à en servir plus précisément le dessein plastique. Théodore Duret en offre l'exemple dans sa Critique d'avant-garde (1885) et, renonçant à sa carrière d'écrivain, Félix Fénéon (1861-1944) cerne au plus près l'expression des artistes, en adaptant sa syntaxe.
La constitution de l'histoire de l'art en discipline scientifique apporte une nouvelle réflexion théorique à la notion de description, en quête d'une objectivité accrue. Giovanni Morelli (1816-1891), inventeur d'une méthode d'attribution fondée sur l'examen de détails anatomiques des figures représentées dans les tableaux, préconise une technique inspirée par sa formation médicale. Défendant une « histoire de l'art sans noms », Heinrich Wölfflin (1864-1945), reconnaissant sa dette envers le sculpteur et théoricien de l'art allemandAdolf von Hildebrand (1847-1921), soutient l'importance d'une « visualité pure » dans l'approche de l'œuvre d'art, qu'il regarde d'abord comme un phénomène optique. Quant à Erwin Panofsky (1892-1968), s'il conteste l'idée d'une histoire des formes détachée de celle du regard de l'âme humaine sur le monde, il préconise dans sa méthode iconologique un premier stade de « description préiconographique », où l'on identifie des formes, des configurations de lignes et de couleurs.
Face aux problèmes soulevés par ces exemples d'approche descriptive, la photographie est-elle un recours ? Aux yeux du xixe siècle en effet, elle apparaît comme une présentation directe du réel, dépouillée de l'élément de fiction qui colore les textes. Dans cette substitution, Paul Valéry a cru déceler un changement radical, résumé par cette formule imagée : « Le bromure l'emporte sur l'encre » (1939). Ainsi Brancusi s'interroge-t-il : « Pourquoi écrire sur mes sculptures ? Pourquoi tout simplement ne pas montrer les photos ? » On touche ici au problème de l'indescriptible ou, selon le mot de Daniel Buren écrivant sur l'œuvre de son contemporain le peintre américain Robert Ryman, de L'Ineffable (1999), si présent dans l'art du xxe siècle, lorsque l'expression plastique dissout les matières, les couleurs et les formes.
Si la description n'est pas née avec la constitution de l'histoire de l'art en discipline autonome, l'enjeu patrimonial, et avec lui le souci de conserver et de classer, a contribué à donner de l'importance à ce discours et à stabiliser son statut. Wölfflin, dans un article de 1907 sur les catalogues de musée (« Über Galeriekatologe », in Kunst und Künstler, VI), s'est exprimé sur le rôle de tels ouvrages dans cette approche des œuvres. La bonne description, selon lui, se consacre à « ce que l'œil perçoit ». C'est « une introduction à l'image », sans « analyses esthétiques », mais avec l'évocation de « caractères formels » comme le « traitement de la lumière » et l'accord coloré. Mais, en dépit de cette évolution scientifique, le destin de la description est peut-être d'échapper au formatage : rejetant une présentation « froide et algébrique », Baudelaire prétend, dans son Salon de 1846, que « le meilleur compte rendu d'un tableau pourra être un sonnet ou une élégie ». En réalité, la description ne cesse de se métamorphoser pour s'adapter à l'impossible, ainsi résumé par Huysmans dans Là-bas (1891), devant une Crucifixion de Matthias Grünewald : « Non, cela n'avait d'équivalent dans aucune langue. »
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Écrit par
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
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