DESCRIPTION ET EXPLICATION
La critique de Meyerson
Le paradigme relationnel, avec sa variante logiciste, représente l'orthodoxie positiviste, qui réduit l'explication à la description légale, c'est-à-dire en termes d'énoncés de rapports quantitatifs constants. Meyerson a critiqué ce réductionnisme en montrant qu'il ne rend pas justice à la tendance explicative des sciences. D'abord, la physique – la discipline qui passe, à l'époque contemporaine, pour être devenue la plus favorable aux thèses idéalistes et positivistes – reste substantialiste et réaliste. Les sciences remplacent l'ontologie du sens commun ou la complètent par des apports imaginaires, en tout cas elles supposent des entités, dont on s'assure ensuite si elles sont trouvables dans la réalité ou si elles sont rationnellement justifiées. Ces entités, moins accessibles que celles de la perception, et qui peuvent être des principes immatériels, des qualités occultes (avouées ou non comme telles : actions à distance, impénétrabilité, élasticité, élan vital, entéléchies, etc.), sont d'abord hypothétiques. C'est le cas, dans l'Antiquité, des atomes, petits solides insécables et invisibles, qui en s'agglomérant forment les solides et les liquides que nous voyons ; de la chaleur, expliquée par un fluide calorique ; de la lumière, expliquée par les vibrations d'un éther aux propriétés confuses ; de la gravité, définie par la courbure de l'espace-temps en rapport avec les masses qui y sont situées. Parmi ces êtres, initialement fictifs ou inobservables, les uns ont ensuite été jugés inutiles ou incompatibles avec les données expérimentales ; d'autres ont vu leur existence confirmée et leurs véritables propriétés précisées ; d'autres enfin ont été retenus pour leur fécondité théorique. La tendance à compléter le réel par de l'imaginaire qui en rend compte est si spontanée que périodiquement il faut en redresser les abus ou les déviations (rasoir d'Occam à la fin du Moyen Âge ; élimination néopositiviste des inobservables au xxe siècle). En dépit des impasses de l'explication, il est inexact que la science se contente de la description légale. Les lois formulent une relation entre un antécédent et un conséquent temporels, reste à trouver une liaison rationnelle entre ces deux éléments. Bref, on ne se suffit pas du comment, on veut connaître le pourquoi. C'est une différence entre décrire et expliquer. L'explication est censée indiquer pourquoi les choses sont ce qu'elles sont ; elle le fera par exemple en montrant qu'elles ne peuvent pas être autrement.
On pense qu'une bonne explication est vraie. Sans doute rejetons-nous une explication que nous savons fausse. Mais la vérité, pas plus que la déduction logique, n'est une condition suffisante. Une théorie imparfaite, voire fausse, peut être douée de pouvoir explicatif. D'abord, elle n'est pas sans générativité, elle peut sauver les phénomènes, engendrer la description, prédire correctement. Whewell mentionne l'hypothèse des épicycles, celle de l'horreur du vide, celle du phlogistique. On peut y ajouter la théorie marxiste de la plus-value, la théorie freudienne du surmoi... S'ajoute à cela que des théories, même fausses, préparent à percevoir la loi vraie.
Ensuite, le pouvoir explicatif d'une théorie tient à ce que les entités qu'elle admet sont conformes au type de celles reçues dans la science et la philosophie de l'époque. Quand des substances y étaient reçues, on n'avait pas de mal à admettre des causes substantielles. Les « vertus », qui diffusent dans leurs effets, paraissaient naturelles, avant d'être raillées par les cartésiens. Ce que Meyerson (1927) trouve à blâmer dans la vertu dormitive, c'est qu'elle ne sert qu'au cas particulier pour lequel[...]
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Écrit par
- Jean LARGEAULT : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil
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