DESCRIPTION ET EXPLICATION
L'explication, réduction de l'arbitraire de la description
Des comparaisons entre les théories de l'explication nous pouvons conclure ce qui suit.
D'abord, l'explication et la description comportent l'emploi d'un langage et d'une ontologie : ce langage contient des règles génératives qui, à partir des propositions et entités primitives, en produisent d'autres. En principe, pour décrire, une générativité pauvre suffit, et l'ontologie est fournie par l'observation ou l'expérience ; en d'autres cas, des éléments mathématiques s'ajoutent (par exemple, dans le cas des lois de Kepler, la théorie des coniques, la loi des aires et le concept de moment cinétique). À la limite, décrire consiste à reproduire. La description la plus parfaite n'est pas le tableau de faits ni le rapport du chercheur sans idées, c'est la photographie, la maquette, avec, si possible, indication du relief. Quand il s'agit de décrire un processus, il faudrait le film de tous les instantanés saisis dans le devenir. Il s'ensuit qu'une description exacte serait aussi encombrante que l'original, donc inutilisable. L'explication, exploitant les ressources d'un langage doté d'un potentiel génératif plus grand, permet d'alléger la description. Resserrant les liaisons entre les composantes de la phénoménologie, elle « réduit l'arbitraire de la description » (R. Thom).
On a expliqué un fait lorsqu'on a une forme mathématique ou logique capable d'engendrer la description de ce fait. L'exemple le plus trivial de forme est la loi, relation quantitative qui demeure identique en toutes les occurrences auxquelles on l'applique. Une loi scientifique comporte une partie fixe, la règle de correspondance elle-même, et une partie variable, adaptable aux cas particuliers. La loi déduit par instantiation la description de chaque cas particulier qui rentre dans ses conditions de validité. Ainsi, la générativité est un élément de l'explication. Cet élément ne constitue pas toute l'explication, contrairement à ce que soutiennent empiristes et positivistes pour qui la nécessité ne peut consister que dans des a priori logiques. Quand l'élément de générativité est de nature logique, il est représenté par la déduction, laquelle est le plus souvent un moyen de contrôle des conséquences qu'on a tirées de postulats ou de principes, un supplément aux défaillances de l'intuition. Dans les grandes théories physiques, la générativité est mathématique : géométrie différentielle pour la relativité générale, espace de Hilbert et analyse fonctionnelle pour la théorie des quanta, etc. Un exemple de générativité mathématique est donné par les transformations d'un groupe qui se combinent par composition en engendrant des transformations nouvelles.
L'autre élément explicatif réside dans l'ontologie, et, d'après ce qu'on vient de voir, il ne se laisse pas disjoindre de la générativité. Ce qui confirme le rôle de l'ontologie comme facteur d'explication, c'est l'efficacité de certains verbalismes qui admettent des entités parfois réputées grossières, que des cartésiens stricts eussent tenues pour des qualités occultes (psychanalyse : pulsions inconscientes, « complexes », etc. ; marxisme : lutte des classes, prolétarisation croissante, crises du capitalisme ; physique : atomes, pressions, poussées, forces ; biologie : force vitale, entéléchies, etc.).
La générativité mathématique ou logique pourvoit à la nécessité d'enchaînement rationnel des propositions et d'engendrement d'entités ; l'ontologie (entités mathématiques, objets imaginaires, objets physiques, etc.) fournit comme la matière de la nécessité. L'explication ne se borne pas à montrer les choses comme elles sont ; elle montre qu'elles[...]
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Écrit par
- Jean LARGEAULT : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil
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