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DESCRIPTION

De la poésie au roman

Dans les essais d'Albalat, au tout début du xxe siècle (L'Art d'écrire et La Formation du style), la description prend autant d'importance que la narration et le dialogue. Cette attention, qui se manifeste également, un siècle plus tôt, dans le Cours et les Leçons de rhétorique et de belles-lettres (1783) d'Hughes Blair, est liée, à travers deux genres différents et deux époques distinctes, à deux crises du descriptif. Au xviiie siècle, sous l'influence des poètes anglais Thompson, Gray et Wordsworth, se développe la poésie descriptive à laquelle Blair fait allusion et qui sera unanimement stigmatisée par le xixe siècle. Dès 1875, le roman naturaliste est attaqué avec la même virulence. La crainte de voir le roman succomber à son tour à une sorte d'invasion descriptive explique probablement la ressemblance des critiques. Tandis que Marmontel dénonce la tentation de « décrire pour décrire, et de décrire encore après avoir décrit, en passant d'un objet à l'autre, sans autre cause que la mobilité du regard et de la pensée », Albalat s'en prend aux longues descriptions, aux « morceaux séparés, placés de parti pris à tel ou tel endroit, comme fait encore M. Zola ». Pour lui, « la description continue ne peut s'admettre que dans les récits de voyage ».

Notons au passage que peu d'écrivains se sont risqués à la description continue. « Le Domaine d'Arnheim » et « Le Cottage Landor » d'Edgar Poe (Histoires grotesques et sérieuses) ou La Presqu'île de Julien Gracq, hors de toute narrativisation, correspondent à la définition que propose ce dernier : « La description, c'est le monde qui ouvre ses chemins, qui devient chemin, où déjà quelqu'un marche ou va marcher » (En lisant, en écrivant). Procédure de description-promenade qu'adopte par exemple Chateaubriand, plus ponctuellement, lors de son arrivée à Combourg au début des Mémoires d'outre-tombe (I, 7). L'évolution des grandes tendances de la description peut être cernée à la lumière de l'article « Description » de Pierre Larousse. Celui-ci met d'abord l'accent sur la description représentative : « D'après la poétique de quelques contemporains, la description ne serait que l'image exacte, la photographie de l'objet décrit. » Il oppose cette tendance à ce qu'on nomme parfois la description ornementale : « D'après les Anciens, suivis en ce point par la plus grande partie des Modernes, ce serait, comme l'a dit Buffon, la nature embellie. » Pour trancher enfin dans le sens de la description expressive : « La description littéraire n'est pas absolument la nature embellie ; elle est la nature vue par un esprit particulier sous un jour propre à ses idées et à ses sentiments, la nature reproduite avec exactitude dans ses lignes principales, mais modifiée dans ses détails selon l'âme du poète et le sentiment qui le domine au moment où il la voit. » On reconnaît ici la conception anthropocentrique qui traverse Les Confessions (Rousseau), Oberman (Sénancour), Le Lys dans la vallée (Balzac), Volupté (Sainte-Beuve) ou le discours préliminaire des Saisons de Saint-Lambert. Alors que Blair préconisait (et tous les maîtres de rhétorique et de stylistique à sa suite) de toujours introduire des êtres vivants « pour donner de l'intérêt à la description des objets inanimés », Pierre Larousse dénonce dans les poèmes descriptifs la même absence d'humanité qui désespère Brunetière (1896) à la lecture du roman naturaliste.

Avec le « compte tenu des mots » (Francis Ponge) qui caractérisera le Nouveau Roman des années 1950-1960, on peut ajouter une description productive, dernière tendance qui est parfois à l'œuvre dans des textes antérieurs, bien sûr, et que résument ces lignes de[...]

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Écrit par

  • : docteur d'État, professeur de linguistique française à l'université de Lausanne (Suisse)

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