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DESCRIPTION

Le système descriptif

Pour l'esthétique classique que Blair, Albalat et quelques autres représentent, le défaut majeur de la description réside dans le fait qu'elle ne comporte en elle-même ni ordre ni limite et semble soumise, dès lors, aux bonnes grâces de l'auteur. C'est la critique de Viollet-le-Duc (1835) et de Valéry : « Toute description se réduit à l'énumération des parties ou des aspects d'une chose vue, et cet inventaire peut être dressé dans un ordre quelconque, ce qui introduit dans l'exécution une sorte de hasard. On peut intervertir, en général, les propositions successives, et rien n'incite l'auteur à donner des formes nécessairement variées à ces éléments qui sont, en quelque sorte, parallèles. Le discours n'est plus qu'une suite de substitutions. D'ailleurs, une telle énumération peut être aussi brève ou aussi développée qu'on le voudra. On peut décrire un chapeau en vingt pages, une bataille en dix lignes » (Autour de Corot). Même idée dans le générique de Leçon de choses de Claude Simon : « La description (la composition) peut se continuer (ou être complétée) à peu près indéfiniment selon la minutie apportée à son exécution, l'entraînement des métaphores proposées, l'addition d'autres objets visibles dans leur entier ou fragmentés par l'usure, le temps, un choc. » Mais cette ouverture potentiellement infinie n'existe pas du point de vue de l'orientation argumentative et de la fonction qu'assure la description dans un texte donné. Linguistiquement, il est difficile d'admettre l'idée d'anarchie et d'absence de construction dont parle Paul Valéry. Reposant sur une procédure de hiérarchisation très stricte (qui la distingue nettement de la liste-énumération), la description peut être définie comme une séquence ayant ses lois propres. Par l'opération d'aspectualisation, les différents aspects de l'objet (parties et/ou qualités) sont introduits dans le discours. Par la mise en situation, l'objet est, d'une part, situé localement et/ou temporellement et, d'autre part, mis en relation avec d'autres par les divers procédés d'assimilation que constituent la comparaison, la métaphore et la reformulation. Par une opération facultative de thématisation, n'importe quel élément peut se trouver, à son tour, au point de départ d'une nouvelle procédure d'aspectualisation et/ou de mise en situation, processus qui pourrait se poursuivre à l'infini. Enfin, quel que soit l'objet du discours (humain ou non, statique ou dynamique), il faut souligner qu'une même opération d'ancrage garantit l'unité sémantique de la séquence en mentionnant ce dont il est question sous la forme d'un thème-titre donné soit au début, soit à la fin. Cela amène Michael Riffaterre à dire du système descriptif qu'il « ressemble à une définition de dictionnaire », qu'il s'agit d'un « réseau verbal figé qui s'organise autour d'un mot noyau ». On comprend mieux aussi cette formule de Barthes, dans Le Plaisir du texte : « Le modèle (lointain) de la description n'est pas le discours oratoire (on ne « peint » rien du tout), mais une sorte d'artefact lexicographique » (1973).

— Jean-Michel ADAM

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Écrit par

  • : docteur d'État, professeur de linguistique française à l'université de Lausanne (Suisse)

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