DESCRIPTIONS DE TABLEAUX (F. Schlegel)
En 1802, l'écrivain et critique allemand Friedrich von Schlegel (1772-1829) arrive à Paris, où il restera jusqu'en 1804. Il commence à y publier ses Descriptions de tableaux, dans la revue Europa qu'il anime. (Ces cinq essais sont parus en 2003, dans une édition établie, présentée et traduite par Bénédicte Savoy, coll. Beaux-Arts Histoire, éd. École nationale supérieure des beaux-arts, Paris.) Au même moment, il se lie d'amitié avec les frères Boisserée, dont l'extraordinaire collection de peintures de Primitifs septentrionaux devait être à l'origine du retour aux maîtres anciens accompli par la génération romantique. Quelques années plus tôt, Friedrich von Schlegel s'était intéressé à la littérature antique, publiant en 1797 De l'étude de la poésie grecque. Avec son frère August Wilhelm, il avait créé à Berlin, en 1798, la revue Athenaeum, qui allait devenir un des organes majeurs du premier romantisme allemand : Novalis et Friedrich Schleiermacher devaient également contribuer à la formation de la théorie littéraire que portait cette entreprise éditoriale aussi inspirée qu'éphémère.
Rédigées de 1803 à 1805, après la disparition d'Athenaeum et la dislocation du cercle romantique qui s'était formé autour des frères Schlegel, les Descriptions de tableaux ne peuvent être dissociées de l'exceptionnelle réunion de chefs-d'œuvre alors abritée par le musée Napoléon. Depuis l'ouverture du musée des Arts dans le palais du Louvre, en 1793, depuis les campagnes de confiscation ordonnées par la Convention, par le Directoire, sous le Consulat, puis sous l'Empire, Paris était devenu, par la force, la capitale des arts. Pris en Italie, en Belgique ou en Allemagne, antiques et peintures annexés par les Français faisaient du Louvre le sanctuaire du « patrimoine universel » – provisoirement, car l'essentiel des pièces confisquées devait être restitué en 1815. Or c'est bien dans ce déplacement général des œuvres d'art à l'échelle de l'Europe, et dans leur confrontation à l'intérieur de l'espace muséal, que la critique de Schlegel trouve son principe : à la translation des œuvres doit correspondre une mutation du goût. Déjà, ce ne sont plus les antiques qui retiennent l'attention du critique, mais uniquement les tableaux. Et dans la foule des œuvres qu'il scrute, ce n'est plus l'art de Guido Reni, des Carrache ou du Dominiquin qui s'impose, mais celui de Raphaël, du Corrège, et surtout des Primitifs flamands et allemands. Comme le montre Bénédicte Savoy dans la présentation de sa traduction, c'est à rebours du canon esthétique lié aux plus grands maîtres italiens (y compris ceux qu'il vénère, comme le premier Raphaël), que Schlegel semble vouloir explorer les « contrées moins familières de la peinture ancienne ».
À la différence du célèbre dialogue des Tableaux (1798), écrit par son frère August Wilhelm pour Athenaeum, qui a pour scène la galerie de peinture de Dresde, et qui ne sépare pas la description des œuvres d'un idéal de communication élargie, de sociabilité, les Descriptions de Friedrich von Schlegel donnent l'illusion de la solitude dans le musée, d'une concentration sur l'acte de voir. Mais l'un comme l'autre en appellent à la poésie lorsqu'il s'agit de traduire l'impression ressentie devant des œuvres d'art : « Ne peut-on considérer en effet, écrit le narrateur parisien à un ami de Dresde, que toute perception juste, qui saisit la profondeur des choses en restant attentive aux moindres détails d'un ensemble organique, mérite le nom de poésie ? » Devant le Triptyque de l'Adoration des mages de Stephan Lochner, à Cologne, le même narrateur en vient à concevoir trois « tableaux poétiques » répondant[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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