DESIGN ET CRIME (H. Foster)
L'article « Design & Crime » trouve place dans l'ouvrage éponyme qui réunit huit textes (2002, trad. franç. 2008) du théoricien de l'art Hal Foster. Le critique américain fait ici référence à l’essai Ornement et Crime publié par l'architecte autrichien Adolf Loos en 1908. Son libelle pourrait à son tour être victime d'un égal malentendu si, comme dans le cas d'Adolf Loos, seul le titre de l'ouvrage faisant fonction d'aphorisme était diffusé de décennie en décennie sans autre forme de procès et, pour le moins, de lecture.
En effet, ces deux titres ne rendent pas compte de la complexité de la pensée de leurs auteurs. Car ils visent bien plus que l'ornement dans le cas du premier ou que le design dans le cas du second. Ce que dénonce Adolf Loos, comme le rappelle Hal Foster, c'est bien la prétention de mettre de « l'art dans chaque chose et toute chose », et jusque dans le « moindre clou ». Son propos vise les artistes, les architectes, les artistes/architectes de la Sécession, autrement dit la version autrichienne du Jugenstil et de l'Art nouveau. Il condamne leur prétention à opposer aux ressassements du passé et à la massification de la production industrielle la seule subjectivité de l'individu. Il dénonce le Gesamtkunstwerk, l’« œuvre d'art totale ». Hal Foster s'appuie également sur les textes d'Adolf Loos pour rappeler le côté funèbre de cette prétention à rassembler dans une même totalité l'art et la vie quotidienne.
Hal Foster attribue le revival de l'Art nouveau, le style 1900 auquel fait écho, selon lui, un style 2000 de même nature, à la tendance omniprésente à la disparition des frontières disciplinaires, avec notamment le « mélange du marketing et de la culture » qui va bien au-delà de ce qu'a pu connaître l'architecte autrichien. Adolf Loos dénonçait la pénétration de l'ornement/art, dans tous les aspects de la vie quotidienne à travers l'espace de la maison. Hal Foster, lui, critique la propension du design à pénétrer tous les aspects de la vie : non plus seulement les objets, mais également les visages, les usages, la mémoire, les gènes, les individus eux-mêmes et jusqu'au monde en son entier comme le revendique le designer/graphiste canadien Bruce Mau. D'où la remarque de Foster : « Au sujet construit de la postmodernité, les ambitions du design substituent un sujet designé[designed] ».
Hal Foster écrit son ouvrage dans un contexte où sont également remises en cause les distinctions hiérarchiques. Dans l'article intitulé BrowBeaten (« Indistinction »), construit sur un jeu de mot intraduisible avecBrowbeating (« Intimidation »), l'auteur s'en prend également à l'ouvrage Nobrow. The Culture of Marketing, the Marketing of Culture (2001) de John Seabrook, critique au New Yorker. Ce dernier fait l'apologie du brouillage des frontières hiérarchiques entre majeur et mineur, culture savante et culture populaire. Toute distinction de ce type masquant, selon ce dernier, des hiérarchies sociales ou de pouvoir est illégitime, dès lors que les classes elles-mêmes se seraient évanouies au sein d'une classe moyenne sans limites.
Il se pourrait que Loos et Foster divergent sur la question d'une essence de l'art ou d'une « autonomie » absolue de la culture. Selon Foster, Loos et les architectes modernes « veulent élever l'architecture au rang d'art ». Rien n'est pourtant moins avéré et c'est passer sous silence les débats virulents à ce sujet que rapporte l'histoire du design et particulièrement celle du Bauhaus. Loos ne conteste pas l'existence d'un grand art autonome, il évoque notamment à ce propos la musique. Pour l'architecture, cependant, il revendique non pas l'autonomie, mais l'inscription résolue dans le[...]
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Écrit par
- Christine COLIN : experte en design à la direction générale de la création artistique, ministère de la Culture et de la Communication, service d'inspection de la création artistique
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