DESIGN
Au croisement du projet et de la forme
Le design partage, essentiellement avec l'architecture, des théories élaborées par des praticiens. Les aphorismes, ces théories abrégées véhiculées par ces derniers, en permettent un rapide survol. « L'outil crée la forme » peut être considéré comme un héritage du rationalisme du xixe siècle ; « la forme suit la fonction », attribué à l'architecte américain Louis Sullivan (1892), est très certainement l'étendard du fonctionnalisme du xxe siècle ; le groupe Radical italien Superstudio est l'auteur d'un aphorisme moins célèbre mais visionnaire : « le publicitaire occulte est l'apprenti sorcier », qui, dès le milieu des années 1960, suppose que le facteur dominant n'est plus la fabrication, ni même la distribution de masse qui s'impose alors, mais la communication de masse. On pourrait citer également cette phrase de Matali Crasset : « la forme est une plate-forme » (2006), qui emprunte au vocabulaire de la connexion informatique et renvoie à un mode de communication et d'organisation de l'information. Tous ces aphorismes identifient une origine dominante de la forme de l'objet, qui se situe dans la fabrication, dans la fonction, dans la communication, dans l'informatisation... Avec eux, designers et/ou architectes modernes et contemporains se présentent moins comme les créateurs de la forme de l'objet, que comme les témoins du processus dont elle procède et comme les garants de sa traçabilité. « ... Construire n'est pas un processus esthétique [...], construire est seulement une question d'organisation : organisation sociale, technique, économique, psychique », écrit Hannes Meyer, directeur du Bauhaus de 1927 à 1930.
Ces théories confortent l'étymologie du terme design : il intervient au croisement d'un dessein (d'un projet) et d'un dessin (d'une forme). Elles ont également en commun et en particulier d'inscrire la forme de l'objet dans son processus de production propre. Elles se démarquent en cela de tout naturalisme qui prêterait aux objets un mode de formation inspiré de la nature, tel qu'on peut l'observer encore dans l'Art nouveau, par exemple, et que l'on voit resurgir dans le design contemporain par l'entremise de l'imitation de modèles d'organisation de la matière. Elles se démarquent également de tout anthropomorphisme selon lequel l'apparition des formes s'inscrirait dans une généalogie, c'est-à-dire sur un mode génératif propre aux hommes et aux animaux.
Les stades successifs du développement d'un produit, de la conception à la communication, en passant par la fabrication et la distribution, le font passer par différentes formes : dessin, maquette, prototype, produit de démonstration (manifeste, produit-test, produit d'appel, « produit de rêve »), premier de série ou pièce d'usine, édition originale, édition, réédition. On tend souvent à survaloriser les expressions concrètes de ce processus au détriment du processus bien réel, quoique invisible, qui inscrit le design dans des rapports de production et laisse des traces bien visibles dans la forme même des objets.
Le designer n'est pas seulement concepteur, il est également observateur du processus avant d'en être acteur. L'usage du terme créateur depuis les années 1980, y compris dans celui de création industrielle, est sans doute plus restrictif qu'on ne le croit, qui ramène la question de l'origine des formes à celle de l'originalité.
Design et fonctionnalisme
Le design n'est pas le fonctionnalisme, même si souvent les définitions du design lui attribuent nombre de ses propriétés. Le design du xxe siècle n'a pas non plus inventé la fonction, ni même la fonctionnalité. L'historien Nikolaus Pevsner inscrit l'une[...]
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Écrit par
- Christine COLIN : experte en design à la direction générale de la création artistique, ministère de la Culture et de la Communication, service d'inspection de la création artistique
Classification
Média
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