DÉSIR (notions de base)
Une étymologie parfois contestée lie le désir aux étoiles. Le latinsidus désigne en effet une constellation d’étoiles, et le « désir » (latin desideratio) serait la nostalgie qu’éprouve l’humain qui a cessé de contempler le ciel étoilé. Véridique ou non, cette étymologie a une qualité et manifeste une puissance en inscrivant l’idée d’un manque douloureux au cœur du désir. Et elle s’est imposée durablement puisque deux millénaires seront nécessaires à la philosophie pour qu’elle renonce à réduire le désir au manque.
Longtemps considéré soit comme un reste de notre animalité parce qu’on ne le différenciait pas du besoin biologique, soit comme une faiblesse venue du corps qu’il faudrait surmonter, le désir a fini par apparaître aux penseurs modernes comme spécifiquement humain et comme l’un des indices les plus notables de notre puissance créatrice.
Quelle que soit la conception dont il relève, le désir présente une dimension insatiable dont les philosophes ont saisi l’ambivalence. Qu’il soit de l’ordre du manque ou lié à notre créativité, le désir semble nous entraîner dans une course inachevable et frustrante. Mais cette insatisfaction ne pourrait-elle pas être considérée comme la singularité propre à notre espèce ?
L’« animalité » du désir
Si le désir est manque, notre bonheur relèverait donc de l’absence de désirs. Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.) est le premier à valoriser ce détachement et, s’il nous faut commencer par lui, c’est parce qu’il possède un privilège chronologique sur les philosophes qui suivront (ses successeurs grecs comme les théologiens médiévaux), mais aussi et surtout parce que sa doctrine a profondément marqué les esprits et n’a cessé d’être revisitée et imitée. Chez Platon, le désir se situe dans l’epithumia, l’une des trois parties de l’âme, la plus basse, celle qui plonge ses racines dans le corps. Freud (1856-1939) reprendra la théorie platonicienne en forgeant la notion de « çà » dans ses topiques. Il y place l’ensemble de nos pulsions et considère le çà comme régi par le seul « principe de plaisir », les pulsions exigeant une satisfaction immédiate et inconditionnelle. Le caractère inquiétant du çà tient au fait qu’il « ignore les jugements de valeur, le bien, le mal, la morale » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse, 1936).
Mais Platon préfigure également Freud par son analyse du monde onirique au début du livre IX de la République. Grâce à lui, nous savons quelque chose des rêves des Athéniens du Ve siècle av. J.-C. Lorsque la partie raisonnable de notre âme est endormie s’éveille alors « la partie bestiale et sauvage » qui « a l’audace de tout entreprendre, comme si elle était déliée et libérée de toute pudeur et de toute sagesse rationnelle. Elle n’hésite aucunement à faire le projet de s’unir à sa mère, ou à n’importe qui d’autre, homme, dieu, animal » (République, livre IX, 571 c et d). Dans sa sauvagerie, le désir ne respecte rien, il est sans foi ni loi, il est par nature démesure.
Dans le sillage de Platon, beaucoup de philosophes vont proposer, selon des modalités diverses, d’éradiquer le désir, d’atteindre l’ataraxie (notion à la fois stoïcienne et épicurienne), ou l’apatheia (notion stoïcienne). À partir d’Augustin d’Hippone (354-430) et des Pères de l’Église, les théologiens vont ajouter une dimension démoniaque au désir, le rendant en particulier responsable du péché originel qui nous a éloignés du divin et condamnés à une vie misérable. Il faut remarquer que même un philosophe tel que Descartes (1596-1650), qui a eu pour ambition de rejeter tant le stoïcisme (selon lui trop exigeant) que l’épicurisme (selon lui trop matérialiste), continue à prôner la mise au pas de nos désirs. Il se donne la maxime suivante : « Tâcher toujours plutôt[...]
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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