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DÉSIR (notions de base)

Un traumatisme originaire ?

Quant au discours d’Aristophane, il s’articule autour du mythe de l’androgyne. Selon Aristophane, l’amour serait un désir inconscient remontant à l’origine des temps et nous poussant à reconstituer l’unité primordiale qui fut brisée par les dieux. Des êtres de forme sphérique, les androgynes, peuplaient alors la terre. Voulant défier les dieux, ils érigèrent une tour (version hellénique de la tour de Babel), et les dieux les punirent en coupant en deux les corps dont ils étaient dotés. Chacun depuis cherche désespérément à retrouver la « moitié » qui lui manque pour reconstituer avec elle la parfaite unité originaire. Nulle part, Platon n’a à ce point rapproché création et procréation,même s’il convient d’ajouter que les deux moitiés qui se recherchent peuvent être de même sexe, rendant impossible toute procréation.

Et si le récit d’Aristophane était en réalité un récit de naissance ? Qu’est-ce que la naissance en effet, sinon la séparation brutale d’avec une partie de soi-même ? L’enfant ne peut avoir aucune idée de ce qu’est la mère en tant qu’être distinct de lui. Il faudra la longue phase du « stade du miroir » décrite par Jacques Lacan (1901-1981) pour qu’il la découvre comme « séparée » de lui. La naissance apparaît ici comme une rupture d’avec soi qui laisse en nous des traces indélébiles. Elle est un traumatisme – ce que savent déjà les Grecs –, générateur d’angoisse, une notion qu’ils ignorent.

C’est cette dimension d’angoisse que la modernité va ajouter aux conceptions grecques : elle est au centre d’un ouvrage, Le Traumatisme de la naissance, d’Otto Rank (1884-1939), publié en 1924, dont Freud approuva le contenu avant de le condamner. La naissance, événement universel partagé identiquement par tous les humains depuis l’origine, serait le plus considérable événement de l’existence humaine. L’angoisse de la naissance est d’abord un phénomène respiratoire, et toute angoisse ultérieure répéterait l’angoisse initiale. Mais toute angoisse est aussi angoisse de castration, c’est-à-dire de séparation d’avec le corps de la mère – on retrouve ici l’hypothèse d’Aristophane. Une telle angoisse possède une fonction essentielle : si la naissance ne s‘accompagnait pas d’une prodigieuse angoisse, rien ne pourrait s’opposer au désir fantasmatique de retourner dans le ventre maternel, rien ne nous contraindrait à évoluer, à « grandir ».

Le seul chemin qui nous est offert reste celui de la sublimation, et Rank retrouve ici les conceptions chères à Platon.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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