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DÉSIR, philosophie

L'homme, « animal raisonnable », est aussi un être de besoin et de désir. En tant qu'être désirant, il ne cesse de tendre ou d'aspirer à quelque bien, qui est aussi une source de plaisir. Dans la Théogonie d'Hésiode (viiie-viie siècle av. J.-C.), Éros, « le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir », a pour compagnon Hèméros, le Désir. Ensemble, ils font partie du cortège d'Aphrodite, la déesse de l'amour. Même s'ils apparaissent plutôt comme les parents pauvres de la déesse, ils forment sa garde rapprochée.

Le désir, entre manque et plénitude

Pour Platon, l'épithumètikon, c'est-à-dire la capacité de désirer, est une des trois parties constitutives de l'âme humaine (telle que décrite dans le quatrième livre de La République, 385-370 av. J.-C.). Le désir est pour lui une dimension constitutive de l'acte philosophique. Les six discours en l'honneur d'Éros qui se succèdent dans le Banquet (env. 375 av. J.-C.) culminent dans le discours de Socrate, qui est doublement indirect : Socrate le tient d'une étrangère, Diotime, prêtresse de Mantinée qui, elle-même, allègue un mythe pour rendre compte de la nature paradoxale du désir érotique, écartelé entre manque et plénitude. Fils de Poros (« Issue », « Chemin », « Expédient »), qui est lui-même fils de Mètis (« Ruse »), Éros a pour mère Pénia (« Pauvreté »).

Pour le Socrate du Banquet, dans la visée du désir, le beau est inséparable du bien. C'est le manque des choses bonnes et belles qui nous les fait désirer. Le désir du Bien et du bonheur représente la forme la plus haute d'Éros. Contrairement à ce que suggère le mythe de l'androgyne développé par Aristophane, il ne s'agit pas ici de chercher la moitié manquante pour recréer une unité perdue. L'idée du Bien implique une conception entièrement nouvelle du rapport entre le tout et la partie, le propre et l'étranger. Elle est notre bien le plus propre, par rapport auquel tout le reste est « étranger », « aliénant ». Le désir du Bien est nécessairement un désir d'éternité. C'est lui qui explique la fécondité d'Éros, être intermédiaire entre les dieux et les hommes, daimôn, qui se manifeste aussi bien dans la sphère corporelle, par l'accouplement et l'engendrement, que dans la sphère spirituelle, par la créativité. Désir mortel de l'immortel, Éros a pour objet ultime le Beau en soi existant toujours, sans jamais naître ni disparaître, duquel participent toutes les autres formes du Beau. L'érotique platonicienne, qui confère au désir une dimension philosophique, ouvre la perspective d'un possible « désir de Dieu » auquel Jean Nabert consacrera un ouvrage posthume (1996).

Malgré les traces considérables que le Banquet laisse dans l'histoire de la pensée, on peut lui adresser deux questions : la première concerne les liens entre le désir et l'altérité. Le désir érotique est-il réducteur ou gardien d'altérité ? La seconde, qui engage le débat avec la pensée bouddhique (et la relecture qu'en propose Schopenhauer), est celle d'un possible désir de ne plus avoir à désirer.

Aristote distingue lui aussi trois facultés ou capacités fondamentales de l'âme. L'orexis (désir) est le genre dont épithumia (appétit irrationnel, désir aveugle, concupiscence), thumos (courage, impulsion, humeur, emportement) et boulèsis (désir volontaire, rationnel) sont les espèces. La première partie de l'Éthique à Nicomaque (ive siècle av. J.-C.) montre qu'une éthique de la vie bonne ne saurait se désintéresser du désir, qui participe à la raison pour autant qu'il peut écouter sa voix et lui obéir.[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)

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