DÉSOBÉISSANCE CIVILE
Histoire moderne de la notion
C'est à l'écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862) que l'on attribue la paternité de l'expression civil disobedience, dont l'expression française « désobéissance civile » est la traduction. En 1846, ayant refusé de payer l'impôt à un État dont il contestait la politique sur deux points (esclavage, guerre contre le Mexique), il fut mis en prison à Concord (Massachusetts). Pour justifier cette infraction à la loi, il rassembla ses arguments dans un petit opuscule, Resistance to civil government, où l'expression civil disobedience ne figure pas. C'est seulement en 1866 qu'on la voit apparaître, dans le titre donné à ce texte par l'édition posthume de ses œuvres. On ne saura donc jamais si l'expression a été forgée par Thoreau révisant son texte avant sa mort ou par son éditeur.
L'influence du texte de Thoreau étant restée limitée, l'expression serait peut-être tombée dans l'oubli si elle n'avait été reprise par Gandhi. Ayant lu Thoreau, il décida d'utiliser civil disobedience pour ses lecteurs anglophones, jugeant que c'était le moins mauvais équivalent du mot satyagraha, qu'il avait forgé pour désigner sa méthode d'action non violente. Élaboré en Afrique du Sud en 1907 pour défendre la petite communauté indienne contre les lois racistes, puis développé en Inde dans la lutte pour l'indépendance, le satyagraha gandhien comporte – parmi bien d'autres modes d'actions non violentes : manifestations, grèves, jeûnes, boycottages, etc. – la violation délibérée et massive de certaines des lois édictées par le pouvoir colonial. L'exemple le plus connu de désobéissance civile gandhienne est celui de la campagne qui, en 1930, consista à organiser la violation massive de la loi réservant aux Britanniques le monopole de la commercialisation du sel.
Martin Luther King, qui a lu Thoreau au cours de ses études de théologie, recourt souvent à la désobéissance civile dans le combat qu'il mène, à partir de 1956, pour faire reconnaître les droits civiques des Noirs : les freedom rides et autres sit-in consistent à enfreindre délibérément et collectivement les lois de ségrégation raciale des États du Sud, jusqu'à saturer les prisons. Ces actions font l'objet de procès, et les médias leur donnent une large publicité, qui contribuera d'ailleurs à la victoire de la cause défendue. Elles suscitent de nombreux débats – éthiques, politiques, juridiques – dont on trouve l'écho dans la fameuse « lettre de la prison de Birmingham » que King rédige pour justifier son choix, contesté même par des sympathisants de la cause des Noirs, de violer les lois injustes. Les ouvrages de réflexion sur la question se multiplient, du moins dans le monde anglo-saxon, avec notamment des contributions de penseurs politiques aussi importants que John Rawls et Hannah Arendt aux États-Unis et, plus tard, Jürgen Habermas en Allemagne. Cette abondance contraste avec la faiblesse de la production théorique en France sur ce sujet. Faiblesse surprenante, car ce pays a connu bon nombre de campagnes de désobéissance civile : pour s'en tenir aux dernières décennies, on peut évoquer l'incitation à l'insoumission lors de la guerre d'Algérie (Manifeste des 121), les campagnes de refus d'impôt et de renvois de papiers militaires en soutien aux agriculteurs du Larzac (1971-1981), diverses formes de soutien aux « sans-papiers », les « squats » d'appartements par l'association Droit au logement, les fauchages de plants de culture transgéniques organisés par les militants opposés aux O.G.M., etc.
On peut dire qu'à partir de 1960, la désobéissance civile fait partie de la culture politique des mouvements contestataires, notamment les mouvements de paix américains[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian MELLON : secrétaire national de Justice et Paix-France
Classification
Médias
Autres références
-
AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD
- Écrit par Ivan CROUZEL , Dominique DARBON , Benoît DUPIN , Encyclopædia Universalis , Philippe GERVAIS-LAMBONY , Philippe-Joseph SALAZAR , Jean SÉVRY et Ernst VAN HEERDEN
- 29 784 mots
- 28 médias
Lescampagnes de désobéissance civile lancées par l'ANC de 1949 à 1952, selon le modèle gandhien, s'étant révélées inefficaces, des mouvements progressistes Indiens, Coloured, Blancs et Noirs s'unifient au sein de l'Alliance du Congrès. L'opposition ainsi rassemblée proclame, en 1955, la Charte de la... -
GANDHI MOHANDAS KARAMCHAND (1869-1948)
- Écrit par René HABACHI et Joël KERMAREC
- 3 084 mots
- 6 médias
...la suppression du Califat par Mustapha Kemal Ataturk rendit cependant bientôt caduque. Devant ce programme, il décida en 1922 de lancer un mouvement de désobéissance civile qu'il crut devoir arrêter après les incidents de Chauri-Chaura où la foule, surexcitée, avait attaqué et brûlé un poste de police.... -
HONG KONG
- Écrit par Jean-Philippe BÉJA et Pierre SIGWALT
- 12 698 mots
- 7 médias
Devant le refus de Pékin de tenir sa promesse d’instaurer l’élection du chef de l’exécutif au suffrage universel, des militants démocrates décident en janvier 2013 de lancer un mouvement de désobéissance civile. Dans le sillage du mouvement « Occupy Wall Street », ils projettent d’occuper... -
KING MARTIN LUTHER (1929-1968)
- Écrit par David L. LEWIS
- 3 351 mots
- 5 médias
...membres de son organisation, par le Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru. Après une brève discussion avec les partisans de Gandhi sur le concept de désobéissance civile (satyāgraha) que ce dernier a développé, King est de plus en plus convaincu que la résistance non violente est l'arme la plus... - Afficher les 8 références